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en gardait l’inquiétude dans ses délassemens, dans ses promenades comme dans ses lectures, et souvent il se tourmentait de recouvrer si lentement la santé. L’intérêt dont il se sentait poursuivi jusqu’à Nice le touchait profondément en soutenant son courage ; il en éprouvait une sorte d’émotion religieuse qu’il laissait percer en écrivant à sa mère et en lui racontant avec une imagination attendrie sa modeste existence de solitaire :


« C’est aujourd’hui Pâques, disait-il le 2 avril, et nous avons un beau jour ; avec du soleil et point de vent, on est comme en plein été. Tout germe, et toutes les feuilles s’épanouissent. Il faut se lever matin pour se promener avant l’ardeur de midi. Aussi faisons-nous depuis quelques jours des courses à cheval avant déjeuner… ou bien, comme ce matin, je me promène entre deux rangs de jeunes cyprès sur la terrasse qui termine le jardin et borde la mer, un livre à la main que je quitte souvent pour mes rêveries. Je repasse dans ma mémoire mes promenades semblables sur cette terrasse de Pagny, où vous veniez souvent me rejoindre. Ne pensez pas que de tels souvenirs et les sentimens qui se sont produits s’affaiblissent. Des jours aussi heureux et aussi purs ne s’effacent pas de la mémoire. Ce qui était en germe s’est développé ; de grands objets, des pensées profondes et souvent douloureuses, des devoirs effrayans me réclament et m’absorbent. Je n’en suis pas moins toujours le même ; mais tous nous sommes ou trop blâmés ou trop loués. On m’écrase en ce moment par les espérances exagérées qu’on place en moi. Quel secours à de si grands maux que la faible voix d’un convalescent ! Toutefois, chère maman, adressez à Dieu vos bonnes prières : que pour quelque temps encore il prête un corps à mon âme, l’expression à mes pensées et le souffle à mes paroles ! Il m’est témoin que je n’en veux user que pour sa gloire, pour le salut du roi et de mon pays. »


A cet accent généreux et vibrant d’une émotion intérieure, on sent le combattant agité du noble tourment de l’action, subissant le repos comme une peine, impatient de retrouver des forces pour pouvoir suivre les inspirations de son courage, au premier appel du devoir. Ceux qui croyaient que, « moitié à cause de sa santé, moitié à cause de la difficulté des circonstances, » il songeait à abandonner les affaires, ne le connaissaient guère. Il attendait, il suivait de loin le drame où il était désigné comme un acteur nécessaire, il n’entendait se dérober ni au combat ni à la responsabilité du choix de sa place dans le combat, selon le mot de M. Guizot, qui avait, lui aussi, son rôle de conseiller.