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après le décret de 1791. Les écrivains en réputation tinrent à honneur de ne donner leurs œuvres qu’aux scènes littéraires, si bien que ces nouveaux théâtres, dont on espérait tant, en furent réduits aux élucubrations des auteurs de quatrième ordre. Seul Beaumarchais fît représenter son drame de la Mère coupable sur le théâtre du Marais, mais il fut très heureux que la Comédie-Française voulût bien le reprendre.

On a cherché la cause des innombrables faillites qui accablèrent les théâtres de 1791 à 1806 : quelques exemples l’établiront d’une manière indiscutable. Les habitans de Paris, pris en masse, n’ont qu’une certaine somme d’argent disponible pour les plaisirs du spectacle ; le nombre des scènes peut augmenter, le chiffre de cette somme reste le même, si bien que plus il y a de spectacles plus l’argent est disséminé. M. Régnier, dans la remarquable déposition devant le conseil d’état dont nous avons déjà parlé, en donnait une preuve concluante : « Il existait à Londres un théâtre magnifique, celui de l’Opéra ; une concurrence, engendrée par la folie de quelques-uns, s’est établie à Covent-Garden… Covent-Garden est en déconfiture, et l’on tremble pour l’Opéra. Il faudrait toujours garder une proportion invariable entre le nombre des théâtres et celui de la population. » Napoléon Ier se rappelait l’arrêté du directoire de l’an VII quand il lança le décret de 1806 ; il comprit, lui aussi, qu’il fallait maintenir une proportion entre le nombre des théâtres et le chiffre de la population, si bien que le 29 juillet 1807 il en supprima plus de quarante, et n’en laissa subsister que huit ; quatre grands : l’Opéra, la Comédie-Française, l’Opéra-Comique et le Théâtre-de-l’Impératrice ; quatre petits : le Vaudeville, la Gaîté, l’Ambigu-Comique et les Variétés.

Le résultat ne se fit pas attendre. Pendant les quinze années de liberté illimitée, de 1791 à 1806, plus de cinquante entreprises théâtrales avaient fait faillite ; pendant la période de quinze années qui suivit, de 1807 à 1822, période troublée par les guerres de l’empire et deux invasions, mais pendant laquelle la liberté illimitée n’existe plus, on ne compte que cinq faillites. Encore, sur ces cinq faillites, deux seulement sont faites par des scènes d’ordre, l’Odéon et la Porte-Saint-Martin. Les trois autres proviennent d’entreprises point sérieuses, et souvent excentriques, comme par exemple celle d’un sieur X…, tombé en déconfiture en 1819, et qui s’intitule : « entrepreneur des montagnes lilliputiennes et du cabinet d’illusions. » Donc la ruine sitôt qu’existe la liberté illimitée des théâtres, la prospérité sitôt qu’elle est supprimée.

Mais, comme avec le temps les souvenirs disparaissent et les opinions se déplacent, la question fut remise à l’ordre du jour en 1848.