Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/642

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’auteur conviendra certainement qu’elle peut exister dans l’amour le plus pur comme dans l’amour le plus païen. Il est vrai que cet attrait mutuel peut se produire dans des conditions coupables, et que c’est probablement à ces cas d’exception que l’auteur songeait lorsqu’il voulait proscrire le mot passion du vocabulaire de l’amour ; mais les lois de la vie sont les mêmes chez les criminels que chez les gens vertueux, et la passion ne change ni de caractère, ni de nature, soit qu’elle se produise chez des natures perverses ou folles, sort qu’elle se produise chez des natures vertueuses et sensées. Il nous est également fort difficile de comprendre pourquoi l’amour établi sur l’égalité des sexes doit supprimer La jalousie. Il nous semble au contraire qu’il est fait pour la rendre d’autant plus aiguë qu’il repose sur la parfaite confiance des âmes, car alors la plus vénielle infidélité devient trahison, et la plus légère réticence devient mensonge. Nous goûtons mieux ce que l’auteur a écrit de l’esprit des femmes et des femmes d’esprit- Elle est bien fine et bien vraie cette opinion qu’un certain degré de bêtise est le signe du véritable amour, et que dans toute liaison celui qui a toujours le plus d’esprit est celui qui aime le moins. Mais c’en est assez sur ces spirituels opuscules, et, pour en résumer la morale, disons qu’en quelques méandres que son observation le promène, l’auteur en revient toujours à la conclusion qu’il n’y a qu’un seul et véritable amour, l’amour légitime et fidèle, et que tous les autres, de quelque éclat menteur qu’ils s’entourent, n’en sont que les ombres, les contrefaçons, ou les parodies calomnieuses.

Stahl a eu la rare prudence de ne jamais rien entreprendre qui fût au-dessus de ses forces ou trop ouvertement contraire aux inclinations de son talent, ce qui revient à dire qu’il a su diriger sa vie littéraire avec bon sens. Un jour, comme mécontent d’éparpiller sa verve humoristique et ses qualités d’observateur, il se sentit venir l’ambition de se concentrer et de se résumer dans une œuvre de plus longue haleine que celles qu’il avait entreprises jusqu’alors. La tâche n’était pas sans difficultés, son talent étant de ceux qui se prêtent mieux aux courtes œuvres qu’aux longues, à la nouvelle, par exemple, mieux qu’au roman. Il s’en rendit sans doute exactement compte, car l’œuvre maîtresse désirée fut conçue et combinée de manière à réaliser son ambition sans l’obliger de recourir à d’autres facultés que telles dont il s’était toujours aidé. Une série de nouvelles de dimensions modestes, rattachées les unes aux autres par le lien étroit d’une pensée unique, tel fut le plan très finement approprié à sa nature d’esprit auquel il s’arrêta, et de ce plan sortit son chef-d’œuvre, une sorte de Décaméron moderne qui s’appelle les Bonnes fortunes parisiennes.