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parfois profondes d’un érudit qui est mort trop tôt pour la science, M. Lehuënou, et par-dessus tout, les explications si savantes, et si claires d’un maître que l’on n’a pas dépassé, B. Guérard. On peut regretter qu’un excès de scrupule ait empêché M. Vuitry d’oser quelquefois passer par-dessus tous ces grands noms pour étudier lui-même les sources et pour apporter à son tour quelque lumière nouvelle sur des problèmes qui ne sont pas encore résolus ; mais il est visible que son intention était seulement dans ces cent premières pages, de poser une sorte de préambule. Son œuvre véritable, celle où il est lui-même, commence avec l’époque féodale ; elle embrasse trois siècles, le XIe le XIIe et le XVIIIe depuis les premiers Capétiens jusqu’à l’avènement de Philippe le Bel.

Au commencement de cette période, la royauté et les communes n’existaient pas ou existaient à peine. Le système féodal, s’il ne remplissait pas toute la société, la dominait du moins tout entière. Il régnait en matière d’impôts comme en tout le reste. Pour comprendre le régime financier de l’époque, il est donc nécessaire de commencer par étudier la féodalité. C’est la condition des personnes qui explique la nature des redevances et le caractère particulier de tout ce qu’on peut appeler encore du nom d’impôts. Aussi M. Vuitry consacre-t-il un très important chapitre à rendre compte de l’état des personnes au XIe siècle. La servitude complète, c’est-à-dire cette condition dans laquelle l’homme appartient corps et biens à un maître, avait déjà disparu dans beaucoup de provinces et tendait à disparaître dans les autres[1]. Le nom de serfs subsistait, mais non la servitude. Ces serfs, qui sont maintes fois nommés dans les documens, étaient des cultivateurs qui occupaient héréditairement le sol sous trois conditions : l’une, d’en payer une redevance annuelle et comme un prix de fermage, soit en argent, soit en grains, soit en travail de corps ; l’autre, de ne jamais se séparer de ce sol, de ne pouvoir ni quitter la seigneurie ni se marier en dehors d’elle ; la troisième, de ne pouvoir disposer de leurs biens par testament, puisqu’ils n’étaient propriétaires de rien. Cens et corvées, poursuite et formariage, mainmorte enfin, tels étaient les trois termes par lesquels la langue désignait cette triple chaîne qui liait encore le serf, tout en lui assurant la jouissance dû sol et en lui laissant la liberté dans sa maison. — Au-dessus des serfs, il y avait dans les villes et même dans les campagnes une classe d’hommes libres ; les uns étaient artisans, les autres cultivateurs. Ceux-ci, sous les noms divers de vilains, villani, de roturiers, de cottiers, de coutumiers, occupaient en tenure le sol qui leur avait

  1. Voyez sur ce point Léop. Delisle, de la Condition de la classe agricole en Normandie. On peut consulter aussi Guérard, Cartulaire de S. Père de Chartres, et Dareste ; Histoire des classes agricoles.