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présentait, non comme chef d’état, mais comme souverain fieffeux. Il continuait à percevoir des redevances, non en vertu d’un principe de droit public, mais en vertu de son droit de propriété sur la terre ou de son domaine éminent sur les fiefs.

Telle a été la nature des impôts au moyen âge, et le lecteur n’est sans doute pas surpris qu’elle concorde si parfaitement avec la nature des institutions politiques et sociales. — Ici s’arrête le premier volume qu’a publié M. Vuitry. Dans de nouvelles études, il montrera comment, de Philippe le Bel à Charles VII, s’est constitué l’impôt royal : révolution considérable que les rois n’ont pas pu opérer seuls, et où il a fallu l’intervention du pays. Ce sera un tableau fort différent de celui-ci, plus dramatique, plus varié, et pour lequel l’historien trouvera des faits plus nombreux et des traits mieux accentués. Il faut bien reconnaître que le principal mérite de ces premiers siècles du moyen âge, aux yeux de l’historien, c’est la difficulté même qu’on éprouve à les connaître et à les comprendre. Aussi séduisent-ils surtout cette sorte d’esprits que leur pente naturelle porte à la recherche des problèmes. M. Vuitry ne s’est dissimulé aucune des difficultés de sa tâche. S’il y a des points sur lesquels on pourra différer d’opinion avec lui, il est du moins une qualité qu’on ne lui contestera pas : c’est celle de n’être passé à côté d’aucune question sans essayer de la résoudre. Il n’est pas allé chercher dans les archives de nouveaux textes, il n’apporte pas de documens inédits ; ce qu’il ajoute au travail de ses devanciers, c’est simplement la lucidité de son esprit et le calme de sa raison. Joignons-y cette sorte de chaleur contenue qui ne messied pas aux travaux d’érudition. Sous ce style si sévère, derrière ces recherches scrupuleuses et ces minutieux calculs, on sent battre le cœur d’un homme. Il est dégagé des passions et des préventions du jour ; mais il est resté singulièrement avide du bonheur général. À chaque siècle qu’il traverse, on s’aperçoit qu’il cherche surtout si les hommes y ont été heureux. Dans toute la longue période qui précède 1789, il a compté combien de fois le pays avait eu de bonnes finances. « On est frappé, dit-il, du petit nombre et de la courte durée des époques qui ont laissé la trace d’une administration régulière ; on ne peut signaler que le règne de Charles V, la dernière partie du règne de Charles VII, le règne de Henri IV et le ministère de Colbert : quatre périodes, de quinze à vingt ans chacune, et qui ne comprennent pas ensemble plus de soixante et dix ans. » Ces simples paroles nous révèlent le sentiment profond qui se cache sous chaque page aride, et l’ardent amour du bien public qui a peut-être inspiré tout ce travail de l’érudit.


FUSTEL DE COULANGES.