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le même. Aujourd’hui comme alors, c’est toujours en effet dans l’intérêt prétendu de l’amélioration du sort des classes les plus nombreuses, cette visée sublime que toutes les écoles philosophiques et politiques ont empruntée au christianisme, dans la libération de la servitude que la propriété et le capital font peser sur les travailleurs, que les théoriciens du socialisme d’abord, et plus tard les politiciens habiles poursuivant un simple but de réorganisation gouvernementale à exploiter à leur profit, ont trouvé la justification de leurs prédications ou de leurs complots..Deux tendances existaient alors qui n’ont fait que se manifester depuis avec plus d’éclat, deux écoles se sont partagé le socialisme, prêtes à se réunir pour l’attaque mais au fond hostiles, celles des individualistes et des collectivistes dont les congrès ouvriers ont révélé plus d’une fois l’antagonisme profond.

Après 1848, le socialisme avait pris la France pour le principal théâtre de son action ; l’Allemagne aujourd’hui a hérité de ce rôle dangereux, et M. de Laveleye a consacré l’année dernière de remarquables études aux fondateurs des deux grandes associations qui couvrent le monde entier de leurs adhérens, Karl Marx et Lassalle, le premier créateur et organisateur de l’Internationale, cette société redoutable dont M. Cucheval-Clarigny a montré ici la direction toute-puissante dans les troubles récens des États-Unis à propos de la grève des ouvriers de chemins de fer, le second qui avait fondé dès 1863 l’association générale allemande des travailleurs. Lassalle n’était pas un vrai révolutionnaire. Il professait une admiration sympathique pour le grand chancelier qui a fait de la Prusse le cœur et la tête de l’Allemagne, il attendait le progrès du temps et demandait un siècle ou deux d’essais et de propagande pour réaliser, à l’aide des sociétés coopératives et d’une grande banque d’état, l’émancipation des travailleurs de son pays, dont l’intérêt seul était l’objet de ses revendications. Ses adeptes et ses successeurs ont bien dépassé ces prétentions : M. Bebel, le fameux député ouvrier au parlement allemand, déclare que le socialiste réclame la suppression de la propriété individuelle des instrumens de travail de toute sorte, qui devient une propriété commune, de même que la production et la distribution des produits doivent être organisées en commun au moyen de l’association par commune de tous les travailleurs. De la commune, l’association des groupes industriels s’étendrait à l’état, et de chaque état à la confédération universelle de l’humanité, les Russes et les Turcs compris. Nous retrouvons donc, comme il y a trente ans, ces doctrines où l’on n’oublie qu’une chose, la liberté de l’individu et la difficulté de choisir celui qui limitera l’appétit de chacun, mesurera la production, désignera les paresseux et sera juge des capacités. Toutes ces