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doses, en additionnant ses tisanes de fortes décoctions de tabac. L’épicier en meurt, mais le bruit public accuse les deux amans de cette mort mystérieuse, et Faraud, se sacrifiant jusqu’au bout, s’empoisonne à son tour, après avoir déclaré publiquement qu’il est le seul auteur du trépas de Vidalin.

Comme on le voit, M. A. de Launay, qui doit être un débutant, n’y va pas de main morte. Il a lu Madame Bovary et Thérèse Raquin, et il a été pris de l’ambition d’aller sur les brisées de MM. Gustave Flaubert et Emile Zola ; mais l’imitation de ces dangereux modèles n’est pas aussi facile qu’elle le paraît au premier abord. N’est pas Zola qui veut. Pour faire accepter au public les détails répugnans et mesquins de ces intérieurs de petits bourgeois, les perversités maladives de ces cerveaux étroits et viciés par l’atmosphère malsaine d’une arrière-boutique, il faut l’observation patiente et minutieuse, la puissance d’exécution, l’imagination ardemment colorée et le plantureux vocabulaire d’un artiste tel que l’auteur de la Curée et de l’Assommoir. M. A. de Launay est un violent d’intention et non de tempérament. A part le tableau d’une partie de campagne qui est heureusement esquissé, les scènes de son roman manquent de couleur, de relief et de vérité. Ses personnages parlent une langue sentimentale qui jure trop avec leurs habitudes et le milieu où ils vivent. Si le décor rappelle les œuvres de Flaubert et de Zola, en revanche le principal personnage, l’apprenti souffreteux et rachitique, aux élégiaques désespoirs, appartient tout au. plus à la famille de ce mélancolique petit épicier de Montrouge, chanté par M. François Coppée. — Cet enfant, tel qu’il est dépeint, avec sa douceur extatique, son besoin de tendresse et sa chrétienne résignation, est incapable d’en arriver à concevoir et à exécuter une résolution aussi criminelle. L’empoisonnement de Vidalin nous paraît odieux. Les motifs qui déterminent Faraud ne se déduisent logiquement ni de son caractère ni de la situation. Cette fois encore nous avons affaire à un fou. Le type de Faraud n’a pas été observé, il a été créé de toutes pièces dans le cerveau de l’auteur ; il n’est pas humain et partant il ne nous touche pas.

Des trois œuvres dont nous nous occupons, la plus importante au point de vue de l’intérêt du drame, de la vérité des caractères et des détails, est sans contredit un roman publié récemment de l’autre côté du détroit et intitulé Marmorne[1]. Bien que cette supériorité soit un peu mortifiante pour notre amour-propre national et bien que le livre soit écrit en anglais, nous hésitons d’autant moins à signaler Marmorne aux lecteurs de la Revue que ce roman se passe en France, dans le Morvan, pendant la guerre de 1870, et que la plupart des personnages sont Français. Le mérite du récit se double donc pour nous de l’intérêt que

  1. Un vol. in-18 ; Blackwood and Son. Edimbourg.