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quelque peu, car, si elle avait massacré nos généraux dans la journée du 18 mars, elle se contentait le 19 de les incarcérer après les avoir maltraités jusqu’au martyre[1]. Elle obéissait aveuglément à une assemblée composée des élémens les plus étranges et qui formait le fameux comité central de la fédération de la garde nationale. Ces gens-là, illettrés pour la plupart et d’une ignorance inconcevable, étaient fort embarrassés de leur victoire ; ils ne savaient qu’en faire, et, pour gagner du temps afin de voir clair dans leur jeu, afin de pouvoir compter leurs forces, ils entamèrent avec quelques membres du conseil municipal de Paris des négociations décevantes dont j’ai raconté ailleurs les principales péripéties. Dans ce court intervalle, il y eut quelque espérance dans la population, qui ne pouvait croire à la réalité d’une victoire dont le résultat ne devait être qu’une suite de cataclysmes effroyables. Au ministère de la marine, on espérait peut-être plus qu’ailleurs, car personne ne paraissait pensera s’en emparer. Le concierge, M. Le Sage, était seul à monter la garde devant sa porte, où nul né venait frapper, et M. Gablin demandait des ordres à M. de Champeaux, qui ne pouvait lui en donner. Là, comme partout dans Paris, on était persuadé que ce mardi-gras social devait bientôt prendre fin. On était loin de compte, car la commune allait succéder au comité central.

Les élections dérisoires d’où sortit ce gouvernement que l’île de Barataria et le pays de Dahomey pourraient nous envier eurent lieu le 26 mars. Les déclassés de toute profession arrivaient au pouvoir, pouvoir grotesque, si l’on veut, mais pouvoir très réel, car il fut obéi jusqu’au combat, jusqu’au massacre, jusqu’à l’incendie, jusqu’à la dernière limite du crime. Le journalisme, la parfumerie, la cordonnerie, la chaudronnerie, la mécanique, le bric-à-brac, la pharmacie, la médecine, la comptabilité, la vannerie et la reliure y avaient leurs représentans ; je cherche ceux de la marine et ceux de l’armée, et je ne les trouve pas, à moins que l’on ne compte l’ex-capitaine Cluseret, qui depuis longtemps s’était fait naturaliser Américain. Lorsque ces élections furent connues de Paris, qui les accueillit par un éclat de rire imprudent, on comprit au ministère de la marine que l’on n’échapperait pas longtemps encore à une occupation permanente. On se tint prêt, non pas à recevoir, mais à subir ces nouveaux maîtres, et l’on avisa à soustraire les objets précieux, propriété de l’état, aux réquisitions qu’il était facile de prévoir. il ne pouvait être question de résister ; quelques hommes, épars dans les vastes constructions de l’hôtel, eussent été impuissans à repousser un vol à main armée ; il fallut donc prendre quelques précautions. Celles-ci incombaient à M. Gablin, qui, en qualité de chef du

  1. Voyez, dans la Revue du 1er juillet 1877, la Santé.