Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA
POLITIQUE ANGLAISE
EN ORIENT

Quel est le rôle des gouvernemens dans notre société moderne ? Doivent-ils se considérer comme de simples gérans d’une vaste association ? Satisfaits de vivre au jour le jour, doivent-ils se préoccuper par-dessus tout d’administrer avec économie et mettre leur gloire uniquement à maintenir en bon état les ressources financières de la nation ? Leur tâche n’est-elle pas plus haute et plus étendue ? Ne doivent-ils pas s’inspirer de ce fait que les nations ne meurent point, et que la même période d’années qui suffit à épuiser l’activité d’un homme compte à peine comme un jour dans la vie d’un peuple ? S’il en est ainsi, n’est-ce pas, pour un homme d’état, manquer à la plus noble partie de sa tâche que de ne pas porter ses regards au-delà du présent et de se désintéresser de l’avenir, comme s’il pouvait être indifférent que les germes déposés chaque jour fructifiassent en bien ou en mal ? On ne l’entendait point ainsi autrefois, et l’on mettait au premier rang des devoirs de l’homme d’état de se préoccuper avant tout des intérêts permanens de son pays. Protéger ces intérêts, en assurer le respect et le développement, faire tourner à leur profit les événemens de chaque jour et tâcher de les mettre hors d’atteinte au milieu des infidélités et des rigueurs de la fortune, tel semblait être le but essentiel de la politique : le mérite du souverain et des ministres se mesurait aux résultats qu’ils avaient obtenus ou préparés dans cette voie. La subordination des intérêts passagers et contingens d’un pays à ses intérêts généraux et permanens se traduisait par cette expression familière à nos pères, « la raison d’état, » qui résumait les règles de la conduite des gouvernemens.