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mariage, ce ne sont ni les lois ni la morale, mais simplement les préjugés qui s’opposent. Il n’en va pas de même dans Jacques, et un coup d’œil jeté sur cette œuvre singulière, qui ne parut guère plus d’un an après Valentine, va nous montrer de quel pas rapide George Sand marchait dans le chemin de la révolte.

Lorsqu’un homme de trente-cinq ans, pour lequel la vie n’a plus de secrets et l’amour plus d’illusions, épouse une jeune fille qui n’en a pas dix-huit, leur union peut être bientôt troublée par la disproportion de leurs âges et la différence de leurs caractères. La femme voudra sonder avec l’ardeur d’une curiosité jalouse les mystères d’un passé qui lui est inconnu ; le mari se pliera avec difficulté aux exigences d’un amour dont les inquiétudes lui sembleront parfois puériles. Cependant, si la femme est d’une nature aimante et simple, l’homme d’un cœur droit et d’un caractère loyal, les nuages que d’involontaires malentendus avaient élevés entre eux ne finiront-ils pas par se dissiper, et le bonheur par s’établir solidement dans leur vie ? Peut-être. Mais si le mariage est en lui-même une institution contraire aux lois de la raison, parce que le mariage a la prétention d’unir l’un à l’autre par des liens éternels des êtres mobiles et de leur imposer, contrairement aux lois de la nature, une fidélité non-seulement impossible, mais odieuse, le jour où les sentimens auxquels cette fidélité répondait ont cessé d’exister, alors la félicité qu’ils s’étaient promise ne deviendra-t-elle pas une torture ? Et, si l’homme qui s’est engagé dans cette union imprudente ne s’est pas dissimulé à lui-même la vanité des sermens qu’il échangeait, s’il a pu écrire à sa sœur : « Le mariage est toujours, selon moi, une des institutions les plus barbares que la société ait ébauchées. Je ne doute pas qu’il soit aboli, lorsque l’humanité aura fait quelques progrès vers la sagesse et la raison, » s’il a eu le courage de dire à sa fiancée elle-même : « Vous allez jurer de m’être fidèle et de m’être soumise, c’est-à-dire de n’aimer jamais que moi, et de m’obéir en tout. Le premier de ces sermens est une absurdité et le second est une bassesse, » et s’il ne s’est résolu au mariage que comme à l’unique moyen d’obtenir la femme qu’il aimait, a-t-il le droit de se plaindre lorsqu’il voit se glisser peu à peu entre sa femme et lui un être plus jeune, plus confiant, qui croit à la félicité parfaite de l’amour et à l’éternité des sentimens qu’il inspire ? Non sans doute. Le jour viendra forcément où l’amant prendra peu à peu la place du mari, et où celui-ci ne peut plus être qu’un obstacle au bonheur de sa femme, à moins qu’il ne préfère devenir pour le monde un objet de risée. Ne doit-il pas alors se punir lui-même de son égoïste imprévoyance, et que peut-il faire de mieux que de disparaître de la scène par une mort volontaire et silencieuse ?