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L’embarras n’était pas moindre dans les procès où se trouvait engagé un indigène. L’obligation de s’assurer la présence d’un drogman avait amené les indigènes à porter leurs réclamations devant le tribunal consulaire de l’étranger qu’ils poursuivaient ; mais, en cas de condamnation, comment faire exécuter la sentence contre celui-ci ? Les autorités locales ne pouvaient prêter leur concours à l’arrestation d’un délinquant ou à la saisie d’un débiteur qu’elles n’avaient pas jugé ; le consul refusait son intervention obligatoire ou la faisait indéfiniment attendre pour l’exécution d’un jugement indigène qu’il se croyait en droit de critiquer.

C’est le gouvernement égyptien qui fit entendre le plus haut et le premier les plaintes qu’un tel état de choses devait arracher à tous les intéressés. Profitant de la lassitude générale qu’engendrait cette situation, il essaya, en 1867, de réaliser un projet qu’il caressait depuis longtemps, celui de soumettre tous les étrangers à la juridiction indigène et de rétablir en Égypte le régime du droit commun européen. Nubar-Pacha, ministre du khédive, disgracié depuis lors, fit aux puissances européennes des ouvertures qui ne devaient aboutir qu’en 1875 à un règlement définitif de la question.

Ce n’est point ici le lieu de raconter en détail les phases de cette laborieuse négociation, au bout de laquelle il ne restait plus rien du projet primitivement présenté par l’Égypte à l’approbation des puissances. Jamais œuvre ne sortit plus mutilée des mains qui devaient la corriger ; jamais non plus l’inexorable logique de certaines situations ne se fit plus clairement entendre. Le khédive avait conçu le dessein de soumettre des Européens à la juridiction indigène, des chrétiens à des juges musulmans ; il a été amené, de concession en concession, à soumettre les Égyptiens à des tribunaux qui, sous quelque nom qu’on les désigne, sont de véritables tribunaux européens. En échange des garanties que l’exterritorialité assurait aux étrangers, il a fallu leur en offrir d’autres. On a dû les chercher d’abord dans la nature des lois qui seraient appliquées, ensuite dans le caractère de la procédure qui serait suivie, enfin dans le choix des magistrats, en sorte qu’après maint débat l’Égypte s’est vue poussée, par degrés, à accepter nos codes, ou du moins une législation en harmonie avec les principes de la nôtre, à adopter nos institutions et nos formes judiciaires, à recevoir enfin des mains de l’Europe les juges qui devaient siéger en majorité dans les tribunaux. Il lui reste à la vérité la satisfaction légitime et platonique de qualifier d’égyptiens les tribunaux, qui en effet reçoivent leur investiture des mains du khédive et touchent leur traitement sur sa caisse. Encore n’est-on pas arrivé à imposer silence aux plaintes et aux réclamations que les résidens ne cessaient de faire entendre.