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Hâtons-nous au surplus de le dire dès à présent, si l’Égypte a perdu quelque chose en apparence à cette retraite diplomatique, opérée d’ailleurs en bon ordre, depuis les premières prétentions émises par elle jusqu’à la convention signée avec la France le 10 novembre 1874, elle a beaucoup gagné au fond. Elle a introduit chez elle un élément d’ordre, de justice, de haute moralité qui lui manquait ; c’est par une heureuse rencontre des mots avec les choses que l’ensemble des mesures récemment prises s’est spontanément appelé la réforme.

En quoi consiste le nouveau système judiciaire et dans quelles limites a-t-il porté atteinte aux capitulations ? C’est ce qu’il importe de déterminer tout d’abord. À en croire le rapporteur de la loi devant l’assemblée nationale, M. Rouvier, la convention, tardivement signée avec l’Égypte par la France, la dernière venue des puissances contractantes, ne serait rien moins qu’une atteinte grave portée au régime séculaire en vigueur jusque-là, « de nature à compromettre les relations commerciales et maritimes que nos ports de la Méditerranée entretiennent depuis des siècles avec l’Égypte. » Il suffit d’un rapide examen pour se convaincre que ce langage n’est nullement justifié. En effet, il n’est rien innové en matière pénale, sauf pour les contraventions et pour une classe très restreinte de délits. En matière civile, les contestations entre étrangers de la même nationalité restent dévolues à la juridiction du consul ; les contestations entre étrangers et indigènes sont soumises aux nouveaux tribunaux par un retour au texte même des anciens traités, et la garantie du drogman est remplacée par celle de la composition même des corps judiciaires. Enfin les contestations entre étrangers de nationalités différentes sont seules l’objet d’une mesure nouvelle, qui déroge, non pas aux capitulations, restées muettes sur ce point, mais aux usages qui s’étaient établis, entre Européens, par suite de l’application de la règle actor sequitur forum rei. Encore faut-il ajouter que toutes les questions principales ou incidentes intéressant le statut personnel sont écartées et renvoyées devant les juges de la nationalité, seuls compétens. Au contraire, les procès mixtes en matière immobilière qui ressortent, d’après le droit commun, à la juridiction purement territoriale, sont ici soumis à la juridiction nouvelle. Cette innovation capitale a d’autant plus d’importance que, les étrangers pouvant depuis peu devenir propriétaires en Égypte, les nouvelles institutions se trouvent appelées à protéger le régime foncier et hypothécaire, et, par suite, les prêteurs européens. On voit qu’en résumé l’Europe n’a rien cédé de ses droits et qu’elle a simplement échangé l’insuffisance de la justice consulaire et les dangers de la juridiction