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RONCIER[1]. » Brunel ne fut point satisfait. Le péril se rapprochait, car les premiers blessés commençaient à arriver ; on les apportait du haut du faubourg Saint-Honoré et du boulevard Malesherbes, où le corps du général Douai s’avançait en faisant lentement reculer les fédérés qui lui tenaient tête. Le docteur Mahé les accueillit sans leur demander quel parti ils servaient et les installa dans son ambulance, où il était resté seul, car M. Le Roy de Méricourt, empêché par la bataille, n’avait pu malgré ses efforts parvenir jusqu’au ministère.

Le mardi 23 mai, au lever du jour, la situation ne semblait pas-modifiée ; nos troupes cependant s’étaient avancées dans les Champs-Elysées et avaient pris possession du Palais de l’Industrie. L’avenue, commandée par les pièces mises en batterie sur les terrasses des Tuileries, ne pouvait permettre aucun mouvement d’ensemble sur les positions défendues par les insurgés. La division Vergé cheminait à travers les jardins des hôtels du faubourg Saint-Honoré, le général Douai poussait ses hommes vers la Madeleine ; Clinchant luttait toujours contre la barricade du boulevard Clichy, qui ne fut emportée qu’à onze heures du matin. Des balles venaient frapper sur le talus des barricades de la rue Royale et de la rue de Rivoli ; Brunel fît placer des tirailleurs dans la galerie extérieure, sur les toits du ministère, et une fusillade incessante se mêla au bruit du canon. Des projectiles éclataient jusque dans l’ambulance. Le docteur Mahé venait de saisir un plateau de charpie pour panser un blessé ; le plateau lui.fut enlevé de la main par un fragment d’obus. Désigné par son drapeau rouge, l’hôtel de la marine servait de point de mire aux batteries françaises. Ce fut à l’ambulance, où cinq infirmiers aidaient M. Mahé, que l’on put comprendre que le découragement saisissait les combattans ; les fédérés y arrivaient sous tout prétexte, cachaient leurs armes, se glissaient dans les lits ; on avait grand’peine à les renvoyer, et il fallut en bousculer quelques-uns pour s’en débarrasser.

Brunel était triste et assombri, il expédiait des ordres, décachetait des dépêches, envoyait chercher des nouvelles ; il s’inquiétait fort de savoir où étaient les Versaillais, regardait avec inquiétude du côté de la Madeleine et disait : « Le boulevard Malesherbes va nous tomber sur le dos. » Matillon se multipliait ; à coups de pied,

  1. Ce Lefebvre Roncier, qui pendant la commune joua un certain personnage dans les rôles secondaires, était un jeune homme de vingt-cinq ou vingt-six ans. C’est chez lui, rue de Rivoli, n° 60, au 4e étage, que Delescluze attendit le résultat de l’échauffourée du 22 janvier. Commandant d’artillerie au début de l’insurrection, il fut successivement secrétaire-général à la délégation de l’intérieur, juge suppléant à la cour martiale, et enfin sous-chef d’état-major à la guerre, où il suivit Delescluze, dont il était un fervent admirateur.