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flotte un nombre considérable de navires défensifs, n’avait en réalité à sa disposition, en fait d’escadre capable de porter le pavillon russe dans les mers lointaines, que neuf bâtimens, savoir : le Sévastopol, le Pétropavlosk, le Prince Pojarski ; quatre autres bâtimens qu’on appelle les quatre amiraux, savoir : l’Amiral Greich, l’Amiral Lazaref, l’Amiral Spiridof, l’Amiral Tchitchagof ; enfin l’Amiral-général et le Duc-d’Edimbourg, tous deux d’un plus faible échantillon, soit au total neuf frégates et corvettes généralement moins fortes que les bâtimens de la Turquie. Cette infériorité n’était pas compensée par la valeur exceptionnelle du Pierre-le-Grand, que la Russie a construit en dernier lieu et qui n’avait pas encore achevé ses essais au moment de la guerre. Ce bâtiment de conception russe a quatre canons placés sur deux tourelles : bouches à feu de 32 centimètres, pesant 37 tonnes et lançant des projectiles de 295 kilogrammes ; six canons d’acier rayés ; deux mitrailleuses sont en outre braquées sur les passerelles. La cuirasse du Pierre-le-Grand a 38 centimètres d’épaisseur. Enfin ce vaisseau est en mesure d’obtenir une vitesse de 14 nœuds. En de telles conditions, le Pierre-le-Grand peut être considéré comme l’un des plus puissans navires connus après le Duilio ; mais c’est l’unique bâtiment de cette force dans toute la marine russe.

Aucun de ces navires n’a paru dans la Mer-Noire ; ils ont été immobilisés presque tous à l’autre extrémité de l’empire, sous les canons de Cronstadt. Le gouvernement de Saint-Pétersbourg avait d’abord envoyé une partie de cette flotte dans la Méditerranée, sur les côtes d’Italie. On l’avait stationnée dans le voisinage d’une escadre ottomane expédiée de Constantinople pour surveiller et comprimer au besoin les mouvemens qui pouvaient se produire dans l’île de Crète, encore émue de sa dernière insurrection. Mais il n’entrait probablement pas dans les plans politiques du gouvernement russe de livrer bataille à ces bâtimens turcs, qu’il aurait fallu disperser d’abord pour essayer d’entrer dans la Mer-Noire ; car il n’avait pas composé son escadre de manière à s’assurer de la victoire. Le Pierre-le-Grand entre autres n’en faisait pas partie. On avait cru d’abord que la Russie se disposait à le diriger de ce côté ; déjà ce vaisseau se préparait à quitter la Baltique lorsqu’il reçut contre-ordre et revint dans la Neva, où il passa l’hiver, au grand regret de son équipage et surtout de son état-major. Le fait est qu’il n’y eut pas même apparence de conflit entre les deux escadres rivales. La marine, sur les côtes méridionales de la Russie, fut donc laissée à ses propres forces, qui étaient à peu près nulles en face d’une flotte ottomane composée et armée avec le soin que nous avons dit. Pourquoi, dans le moment critique où la Russie se décidait à déclarer la guerre, sans doute après qu’elle en avait depuis longtemps