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Baltique ne pourrait que difficilement y débarquer des troupes et serait réduite à bloquer les ports. Cette opération de guerre nuirait surtout à l’Angleterre, qui se priverait ainsi de son commerce avec la Russie au profit des puissances neutres. Le blocus de côtes si étendues et pourvues de nombreuses défenses serait d’ailleurs très difficile. Le droit international ne reconnaît de blocus effectif que si l’assaillant dispose d’une flotte trois fois supérieure à celle de l’adversaire. Cette condition imposerait à l’Angleterre l’obligation de maintenir sur les côtes russes une flotte de cinquante cuirassés. En admettant qu’une puissance soit en état de faire un tel déploiement de forces, la dépense en serait hors de proportion avec le résultat. Malgré tout, comme la peur ne raisonne pas, le sentiment public était resté sur une impression pénible, et le gouvernement russe lui-même ne put s’y soustraire. Il borna ses efforts à la construction de trois nouveaux navires défensifs. Ces trois bâtimens étaient : l’Aînée, le Kremlin et le Trône n’est pas à moi. Voilà pourquoi l’Europe attentive n’a pas eu le spectacle émouvant de combats sur mer pendant cette guerre. La science peut le regretter, car elle y a perdu un élément d’instruction, d’autant plus précieux que, si de tous côtés on fait des préparatifs formidables pour les batailles navales de l’avenir, l’occasion d’étudier les résultats du choc d’escadres cuirassées est assez rare. On se regarde ; on ne s’aborde guère. L’humanité s’en félicitera. C’est bien assez des combats à terre, et l’on se réjouit quand les hommes hésitent à transporter jusqu’au-dessus des abîmes de la mer leurs querelles sanglantes.

En résumé, voici quelle était au début de la guerre la situation des deux puissances belligérantes. La Turquie pouvait mettre en ligne quinze cuirassés armés de cent quatre-vingt-cinq canons dont vingt-quatre de 18 tonnes et 27 centimètres ; cinquante-deux de 12 tonnes et 25 centimètres ; quatre-vingts de 6 tonnes 1/2 et 20 centimètres. Tous ces bâtimens étaient construits d’après les meilleurs types. Leurs cuirasses avaient une épaisseur considérable variant de 13 à 32 centimètres. Cette flotte avait donc une homogénéité qui en augmentait considérablement la force et la rendait très redoutable. Quant au courage personnel des Turcs, il est incontestable : la guerre actuelle en a fourni des preuves éclatantes ; mais, en marine, la bravoure ne suffit pas. Aussi les patrons de la Turquie, experts en matière de service naval, ne se sont pas montrés satisfaits de leurs cliens et ont fort critiqué l’usage qu’ils ont fait de leur bel armement.

Dès le commencement des hostilités, une partie de la flotte ottomane avait été, comme nous l’avons dit, envoyée dans la Méditerranée, l’autre partie dans la Mer-Noire. Celle-ci avait été divisée