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dizaine de bâtimens pour la flotte de combat en haute mer, presque tous faiblement cuirassés et non moins faiblement armés : le reste de la flotte composé de monitors et de batteries flottantes.

Dans ces conditions, le gouvernement de Saint-Pétersbourg, se sentant impuissant, surtout sur les côtes méridionales de l’empire, a eu recours à l’arme des marines faibles : la torpille. Il l’a employée avec profusion et avec audace. Si cette guerre n’a fourni à la science aucune donnée nouvelle sur la lutte entre bâtimens cuirassés, elle a accumulé au contraire les renseignemens sur l’usage et les effets de la torpille, cet engin de guerre nouvellement introduit sur la scène du vieux monde par la jeune et vigoureuse Amérique.


III

Il y a quelques années seulement qu’on a compris en Europe l’importance de cet instrument de destruction. Cette importance a été révélée non-seulement par la guerre civile des États-Unis, mais encore par l’impuissance où la menace seule des torpilles a réduit la flotte française quand elle a inutilement croisé devant les ports prussiens pendant la guerre de 1870. Nous avons exposé ici même[1] les précédens de cette découverte, qui tend à égaliser les forces maritimes entre tous les peuples. Depuis cette époque, les études ont été continuées, notamment en Angleterre, en Prusse et en Russie. La Russie vient, sur la Mer-Noire, de les mettre en pratique. On trouvera donc dans les incidens de cette guerre de féconds enseignemens, surtout lorsque ces incidens seront mieux connus. Malgré les rapports officiels qui sont sous nos yeux, les renseignemens sont peu nombreux. Le gouvernement russe a écarté de ces publications tout ce qui pouvait tendre à divulguer son secret. On n’y trouve point d’explications complètes sur la structure des navires et des bateaux engagés dans les opérations maritimes, l’espèce et la composition particulière des projectiles, leur emploi soit par le lancement d’espars porte-torpilles, soit par l’envoi à certaines distances d’appareils automatiques. Les rapports ne contiennent point d’informations sur la qualité, l’espèce et la quantité de la poudre employée. Le gouvernement impérial a tenu dans l’ombré les travaux de ses ateliers avec tant de soin qu’il en a écarté même les touristes. L’un d’eux a écrit dans un journal autrichien que, se trouvant ana mois de mars 1877 dans la gare de Kichenef, il y vit dix embarcations construites, disait-on, d’après un nouveau plan qu’on ne voulait pas laisser pénétrer, et destinées à porter des torpilles dans le Danube, On tint le voyageur à distance ; il dut se

  1. Voyez la Revue du 1er mai 1876.