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religieuse qui me fit une grande impression et un grand bien, en même temps que ses admirables écrits rendirent à mon espérance la flamme prête à s’éteindre. » On doit regretter que George Sand n’ait pas donné suite au dessein qu’elle annonce dans ses Mémoires de raconter en détail ses rapports avec Lamennais. On y aurait saisi peut-être le secret de l’influence exercée sur la femme par l’ancien prêtre, et il aurait été en tout cas intéressant de comparer cette étude avec celle de Sainte-Beuve. Entre les deux, je ne suis pas sûr que George Sand n’eût pas mieux compris Lamennais. Sans doute, pour l’aider à saisir le secret de ces versatilités éclatantes, Sainte-Beuve avait, comme une femme l’a dit de lui, le tourment des choses divines. Il a connu sincèrement les angoisses de ce tourment, et il s’est calomnié lui-même dans cette lettre récemment publiée où il écrivait : « J’ai fait un peu de mythologie chrétienne en mon temps ; elle s’est évaporée. C’était pour moi, comme le cygne de Léda, un moyen d’arriver aux belles et de filer un plus tendre amour. » Mais ce tourment des choses divines, George Sand l’avait éprouvé bien plus profondément encore, et chez elle il ne s’est point évaporé. On dirait même qu’à mesure qu’elle avance vers la maturité elle sent le besoin de serrer ces questions de plus près. Nulle part elles ne tiennent une aussi grande place que dans le roman philosophique de Spiridion, qui parut en 1841. La lecture en est assurément peu récréante, mais on y peut deviner les efforts et les luttes de sa pensée dans la peinture éloquente de tous les états philosophiques et religieux au travers desquels une âme peut successivement passer.

Spiridion est une longue histoire qu’un vieux moine raconte à un jeune novice, et où il lui déroule toutes les péripéties qui l’ont conduit de la foi à l’athéisme, et de l’athéisme à la révélation d’une religion nouvelle. Le moine remonte dans son récit jusqu’à ses premières années de couvent ; Il aimait alors la religion catholique avec une sorte de transport ; elle lui semblait une arche sainte à l’abri de laquelle il pourrait dormir toute sa vie en sûreté contre les flots et les orages de ses passions. Il se plaisait à exalter la puissance de cette révélation divine qui coupe court à toutes les controverses, et promet en revanche de la soumission de l’esprit les éternelles joies de l’âme. Les idées que renferme ce mot de mystère étaient les seules qui pussent l’enchaîner, parce qu’elles seules pouvaient gouverner ou du moins endormir son imagination. Malheureusement l’orgueilleuse pensée de marcher sur les traces du fondateur du monastère, l’abbé Spiridion, dont il croit apercevoir les apparitions, lui fait entreprendre de soumettre ses croyances au contrôle de sa raison, et il passe en revue tous les ouvrages de controverse