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sorte que la torpille éclata à quelque distance. On ne put se rendre compte de l’effet qu’elle avait produit, tant l’obscurité était profonde. L’explosion, selon l’usage, avait soulevé une véritable trombe d’eau qui avait presque noyé l’embarcation. Pendant que l’équipage russe s’efforçait de la mettre à sec, il était en butte à la fusillade, qui n’avait pas cessé. Le canon y avait joint ses projectiles. Enfin le bâtiment s’était ébranlé et marchait sur le bateau-torpille en vue de le couler. Pour comble d’embarras, le gouvernail de ce bateau ne fonctionnait plus. Les débris de l’appareil à lancer la torpille embarrassaient sa marche. Il parvint néanmoins à faire sa retraite et put rejoindre le Grand-duc-Constantin. Quatre autres bateaux avaient également rallié ce steamer. Ils rentrèrent au nombre de cinq à Odessa, où l’embarcation du lieutenant Rodjestvenski dut être mise en réparation. La coque était considérablement endommagée, et l’on en conclut qu’elle s’était heurtée contre un cercle de défense dont le bâtiment turc était entouré et qui était « formé probablement d’une combinaison de filets métalliques et d’espars. » Le bateau-torpille du lieutenant Puschtschine n’avait pas reparu.

L’expédition n’avait pas été heureuse. Un bateau avait disparu ; un autre avait été désemparé. Aucun navire ennemi n’avait été détruit, et les minutieuses précautions dont les bâtimens turcs s’étaient entourés prouvaient qu’ils connaissaient le danger et faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour l’écarter. Les équipages avaient d’ailleurs montré une grande vigilance, les feux de mousqueterie avaient commencé dès l’approche des torpilleurs ; le canon n’avait pas tardé à tonner, et le bâtiment même avait marché sur l’agresseur. Enfin on avait rencontré un bâtiment préservé du danger par un réseau métallique. Cette tentative avortée donnait à réfléchir aux assaillans, et devait sinon décourager la marine russe, au moins la rendre circonspecte. On va voir que son audace ne fut pourtant pas ébranlée.

Dans les premiers jours du mois d’août, une colonne russe devait traverser un défilé commandé par un bâtiment turc mouillé sur la côte. Ce mouvement était important, mais un bombardement maritime pouvait le compromettre, l’empêcher même et dans tous les cas coûter beaucoup de monde, car la passe était défendue aussi par des troupes de terre, et il fallait la forcer. Le Grand-duc-Constantin, ce même aviso que nous avons déjà vu figurer dans la précédente entreprise, fut envoyé sur la côte et manœuvra avec assez d’adresse pour attirer à sa poursuite le bâtiment cuirassé qui faisait obstacle au passage. Le commandant russe, colonel Chelkovnikof, profita de cet éloignement pour traverser avec succès le défilé de Gagry, où il aurait pu être couvert d’obus.

La vitesse supérieure du Grand-duc-Constantin avait déjoué la