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curieuse étude à faire que celle des circonstances où sont éclos dans la littérature ancienne ou moderne les différens essais de poésie pastorale. On y verrait que, depuis les idylles de Théocrite jusqu’aux bergeries d’Urfé, ces enthousiasmes subits pour les charmes de la vie rustique plus ou moins exactement dépeints sont toujours nés du dégoût d’une civilisation trop raffinée ou de la fatigue d’une époque batailleuse. On y verrait que, de même que les peuples enfans rêvent combats singuliers, héros et guerrières, de même les peuples vieillis rêvent moutons, bergers et bergères. Cette étude apprendrait aussi à mieux apprécier les difficultés d’un genre où il est si rare, je ne dis pas seulement d’atteindre à la perfection, mais même d’en approcher. De tous les écrivains français, George Sand est assurément celui qui en est arrivé le plus près, et elle a fait preuve d’une souplesse qui a révélé son talent sous un jour nouveau. Ce qu’on pouvait en effet jusque-là lui reprocher, c’est que ses différens personnages, à quelque sexe, à quelque condition sociale qu’ils appartiennent, parlent tous un peu la même langue, éprouvent les mêmes sentimens et les rendent de la même manière. Dans ses romans champêtres, ce n’est pas seulement un monde nouveau qu’elle a su peindre, c’est une langue nouvelle qu’elle a appris à manier. Je ne vais point cependant jusqu’à approuver le procédé qu’elle a employé dans François le Champi et dans la Petite Fadette, de mettre tout le récit dans la bouche du chanvreur qui parle ou du moins qui est supposé parler le patois berrichon. Il y a quelque chose d’un peu fatigant à la longue dans ce langage factice, qui en réalité n’a même pas le mérite de la vérité. Le patois du chanvreur n’est pas plus le parler ordinaire des paysans que celui des gens du monde ; c’est un dialecte absolument conventionnel à l’aide duquel le pauvre chanvreur a beaucoup de peine à rendre des pensées qui n’ont jamais traversé d’autre cerveau que celui de George Sand. Bien supérieur est le plan de la Mare au diable, son chef-d’œuvre en ce genre, où l’auteur parle comme il sait parler et où le dialogue seul est en langue paysanne. Si ce ne sont pas là, comme on l’a dit, de vrais paysans, ce sont les paysans tels qu’ils pourraient être, et si le tableau est un peu idéalisé, les couleurs du moins en demeurent vraies. George Sand a beaucoup mieux compris les habitans des campagnes que ceux des villes. Elle ne leur a point prêté les vertus de l’âge d’or et elle a peint avec vérité ce mélange d’honnêteté, de ruse, de grossièreté, de vertu, d’ardeur au travail et d’amour du gain qui constitue aujourd’hui le paysan français. Bien qu’il y ait dans ses romans champêtres un parti-pris de relever et d’ennoblir la vie rustique, elle n’a pas méconnu l’inévitable tristesse de ces existences qui s’écoulent tout entières sans passion, sans plaisirs, sans événemens, en