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elle l’a inventée. Dans une heure de bonne foi, elle a confessé que la Vallée-Noire n’existait nulle part sur la carte, que c’était un nom donné par sa fantaisie à un pays, — dirai-je toute ma pensée ? — peut-être un peu légendaire aussi. Certes, je ne prétends pas que les vallées de l’Indre, de la Creuse ou de ces petites rivières aux noms pittoresques, la Tarde, la Bouzanne, la Couarde, dont elle parle si souvent dans ses romans, ne présentent aucune des beautés que sa plume a si complaisamment décrites ; mais le voyageur qui, emportant dans sa valise les romans de George Sand, et laissant égarer ses pas dans les traînes du Berry, entreprendrait un dévot pèlerinage au moulin d’Angibault, à la ferme de Grangeneuve, au vieux château de Saint-Chartier, à Nohant même, s’exposerait, je le crains, à quelque mécompte s’il s’attendait à découvrir à chaque pas des beautés inconnues qu’aucune autre région de la France ne saurait offrir à ses yeux. Il n’aurait, au reste, à s’en prendre qu’à lui-même de sa déconvenue, car George Sand a pris soin de prémunir à l’avance ses lecteurs contre toute déception. « Le Berry, a-t-elle écrit, n’est pas doué d’une nature éclatante. Il n’y a là ni grands rochers, ni bruyantes cascades, ni sombres forêts, ni cavernes mystérieuses ; mais des travailleurs paisibles, des pastoures rêveuses, de grandes prairies désertes où rien n’interrompt, ni le jour ni la nuit, le chant monotone des insectes ; des villes dont les mœurs sont stationnaires ; des routes où, après le coucher du soleil, vous ne rencontrez pas une âme ; des pâturages où les animaux paissent au grand air la moitié de l’année ; enfin tout un ensemble sérieux, triste ou riant, selon la nature du terrain, mais jamais disposé pour les grandes émotions ou les vives impressions extérieures. »

Si la Vallée-Noire, n’existe pas et si le Berry est assez semblable à beaucoup d’autres provinces de la France, quelle est donc la découverte de George Sand ? C’est précisément de nous avoir révélé tout ce qu’une contrée dont les couleurs n’ont rien d’éclatant ni les lignes rien de grandiose peut cependant receler d’aspects attachans ; c’est d’avoir signalé à notre admiration ces mille spectacles dont la nature renouvelle pour nous avec les saisons l’incessante variété : la verdure des bois un peu rougie aux approches de l’automne, les lignes d’eau laissées par des pluies récentes dans les sillons d’un brun vigoureux et que le soleil fait briller comme de minces filets d’argent ; la légère vapeur qui s’exhale de la terre fraîchement ouverte par le tranchant des charrues ; en un mot, ces détails sans nombre auxquels nous ne prêtons souvent qu’un regard distrait jusqu’au jour où une certaine lassitude de l’esprit nous fait goûter dans la contemplation de la nature le contraste avec les agitations de la vie. Par là, elle a singulièrement agrandi le champ