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comprendre depuis qu’il avait été trop vite, car à peine était-il parti que j’ai compris que je l’aimais, oh ! plus que ma vie. Et si on me demande encore maintenant lequel des deux je préférais, je répondrai : J’ai été flattée de l’amour de M. Carson, mais quant à James Wilson, je… — Et Marie, baissant la tête, cacha entre ses mains sa figure couverte de rougeur. »

On a les deux réponses sous les yeux. Ai-je tort de trouver que la comparaison ne tourne pas à l’avantage de George Sand, et que, pour cette fois, c’est l’humble femme d’un pasteur unitarien, perdue dans les brouillards de Manchester, qui a le mieux fait parler le langage de l’amour ?

Enfin, dernier défaut et non moins grave à mes yeux, George Sand manque à chaque instant de délicatesse. Ce n’est pas au point de vue moral que j’adresse cette critique à presque toutes ses œuvres. J’ai déjà dit ce qu’il y avait, à mes yeux, de fondé et d’excessif dans les accusations d’immoralité qui ont été portées contre elle et je n’ai point l’intention d’y revenir. Je me place à un point de vue beaucoup moins élevé, et je lui reproche d’avoir, en froissant sans scrupule ses lecteurs par les indélicatesses de son langage, manqué par là même aux règles éternelles de l’art. Quelques efforts qu’on fasse en effet pour établir que la morale n’a rien de commun avec l’art, on n’empêchera jamais qu’il n’y ait certaines convenances élevées que l’art ne saurait braver sans enfreindre les règles du beau. Je veux bien que les œuvres d’art aient leur moralité particulière, tenant moins au sujet qu’à la forme, et que la Vénus de Milo soit plus chaste dans le calme de sa demi-nudité que la sainte Thérèse du Bernin, dont la pose extatique arrachait au président de Brosses cette boutade hardie : « Si c’est là l’amour divin, je le connais. » Mais c’est la preuve que les anciens, nos maîtres, avaient raison, lorsqu’ils défendaient au statuaire ou au peintre de reproduire d’une façon trop fidèle les mouvemens désordonnés de la passion. Ce n’était point non plus par une banale redondance qu’ils faisaient de la décence l’attribut des Grâces. Cette décence n’est pas moins nécessaire dans les œuvres littéraires. L’imagination n’est pas moins facile à choquer que les yeux, et peut-être même doit-elle être traitée avec encore plus de ménagemens. En n’usant point de ces ménagemens, George Sand gâte à chaque instant ses œuvres littéraires, où elle laisse échapper moins des peintures que des expressions et des commentaires qu’on voudrait pouvoir effacer. Ici encore j’essaierai d’éclairer ce que je veux dire par un exemple et par « ne comparaison.

Une des œuvres les plus populaires de George Sand est l’histoire de François le Champi, cet enfant trouvé qui finit par épouser sa mère adoptive, Le sujet avait par lui-même ses difficultés et ses écueils. Si