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L’ALSACE-LORRAINE.

dant, nous réussirons à en faire des compatriotes plus vite peut-être que nous ne nous y attendons aujourd’hui… »

À cette époque, l’Allemagne croyait fermement à cette légende, soigneusement entretenue par certains correspondans de journaux, admise même par certaines de nos feuilles de Suisse, et d’après laquelle la riche Alsace-Lorraine gémissait sous le joug détesté de l’administration française et sous l’oppression des impôts. L’Allemagne croyait surtout au prestige et à la force d’attraction que le glorieux butin dont elle était chargée ne pourrait manquer d’exercer sur cette province, qui venait de voir s’écrouler son dernier espoir sous les ruines de la France.

On a donc prodigué les promesses, en attendant mieux. Quelques Alsaciens contemplèrent en imagination le séduisant avenir qu’on faisait miroiter à leurs yeux, mais le plus grand nombre n’en trouva pas le temps. L’Alsace-Lorraine était alors dans cet état nerveux qui succède aux grands ébranlemens. L’option pour la nationalité française prit partout, même au sein des campagnes, mais particulièrement dans les centres industriels, des proportions beaucoup plus grandes que l’autorité allemande ne l’avait cru possible, et entretint longtemps dans le pays une agitation excessive et peu faite pour faciliter l’installation de l’administration nouvelle. Les quelques Alsaciens qui peut-être n’auraient pas demandé mieux que de remplir, dès ce moment, l’office de mouches du coche dont ils s’acquittent aujourd’hui, étaient encore retenus à l’écart par la peur du qu’en dira-t-on. Le gouvernement, ainsi abandonné à lui-même, eut à lutter tout d’abord contre la tâche énorme de reconstituer d’urgence, de toutes pièces et à tous les degrés, l’ensemble de l’administration, par suite du refus à peu près unanime des ci-devant fonctionnaires français (dont la plupart étaient cependant Alsaciens ou Lorrains) de se laisser séduire par les brillans avantages matériels qui leur étaient offerts pour les retenir dans leurs emplois. Du nombreux personnel judiciaire relevant des deux anciennes cours d’appel de Metz et de Colmar, l’Allemagne ne réussit à gagner que sept magistrats, et, de son propre aveu, elle n’était encore parvenue à la fin de 1874 à recruter dans le pays même, pour les divers services publics, qu’une quarantaine de fonctionnaires et moins de 300 employés et agens subalternes. Il lui fallut donc tirer de son propre sol tout le personnel nécessaire, et, malgré tout le soin et la conscience qu’elle y apporta, c’eût été miracle que de réussir dans de telles conditions à constituer une administration homogène et parfaite. Une des premières expériences déplaisantes fut de constater qu’il ne suffisait pas de mettre un Prussien, un Bavarois et un Badois côte à côte dans un même bureau pour en faire trois Allemands ; à tout instant, l’esprit invétéré de particularisme faisait