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parfait, s’il était possible. Aujourd’hui, les plus sages eux-mêmes commencent à supprimer cette restriction en disant : « Il est devenu en France le seul possible. »

Dès lors ne peut-on présumer que le développement libéral et pacifique du régime nouveau est seul capable de relever notre pays en le ramenant dans sa vraie voie ? Mainte fois on a vu le peuple français se redresser quand on le croyait pour jamais à terre, faire éclater une richesse imprévue quand on espérait l’avoir ruiné, une plus énergique volonté de vivre quand il semblait près de périr, un esprit nouveau et fécond quand sa pensée semblait épuisée et stérile. C’est qu’habitué à vivre dans une région qui n’est point exclusivement nationale et égoïste, il ne se sent pas atteint par ses désastres dans la meilleure partie de lui-même, dans celle par où il s’efforce de s’identifier avec le cœur même des autres peuples. Il sait qu’il ne périra pas tant qu’il vivra de la vie commune à tous. Ces idées seules peuvent soutenir une nation à travers les siècles qui, au lieu d’être purement nationales, sont humaines ; la France n’attend son salut et sa force que des pensées nourries par la pensée même de l’humanité, toujours vraies, toujours jeunes, immortelles comme l’humanité même : ainsi nos ancêtres, sur le tronc du chêne antique que les saisons couvrent ou dépouillent de feuilles changeantes, cueillaient le gui toujours vert, nourri de sa sève impérissable, symbole et gage d’éternité. Aujourd’hui encore la France, fidèle à son esprit, répond aux échecs matériels en proclamant une idée nouvelle et plus haute où ses vainqueurs mêmes seront un jour forcés de chercher un appui ; au triomphe d’une monarchie conquérante qui lui enlève des forteresses, elle oppose l’idée républicaine, qui, de l’aveu même des philosophes allemands, des Schopenhauer, des Strauss, des Hartmann, comme des philosophes anglais tels que Stuart Mill et M. Spencer, sera un jour appliquée et réalisée dans toute l’Europe et sur toute la terre. Ainsi la France, matériellement amoindrie, s’élargit moralement ; abattue dans le présent, elle se fait avenir, et, en face des gouvernemens de privilège, elle tente d’édifier le gouvernement fondé sur la pure idée du droit.


ALFRED FOUILLÉE,