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montre la misère pour résultat de sa fierté et le mépris pour fruit de ses rêves ? La famille, surprise par des circonstances qui ont marché plus vite que ses prévisions et se débattant contre les embarras d’une vie matérielle désormais trop étroite. Il ne faut pas chercher ailleurs le Méphistophélès des mauvais conseils et des tentations corruptrices. Alors, pour appuyer et justifier sa pensée, d’une plume tout à fait magistrale il traça le portrait de Mme Huguet, une de ses plus fortes et à mon avis la plus originale de ses créations.

Mme Huguet, veuve d’un modeste employé de ministère, est une mère qui, pour le plus grand bien de son fils, travaille du soir au matin à rogner discrètement les ailes non-seulement à ses illusions, mais à toutes les croyances qui font les âmes, honnêtes et les cœurs délicats. S’agit-il de mariage ? Pense à l’argent plutôt qu’à l’amour, lui dit-elle, l’amour pâlit avec la gêne et meurt avec la misère, l’argent engendre le bonheur par la sécurité, et, s’il ne crée pas l’amour, il ne le tue pas du moins par le regret. S’agit-il de relations ? Prends-les utiles plutôt qu’agréables, que tes amis te soient un instrument plutôt qu’une parure. S’agit-il de protecteurs ? Prends-les honorables si tu le peux, mais avant tout puissans, et par-dessus tout garde-toi, quoi que tu entendes dire, de juger les personnes dont tu as besoin. C’est ainsi que cette mère va soufflant sans relâche à son fils les maximes de la dissolvante sagesse que lui ont enseignées ses longues et patientes ruses pour dissimuler sa franche pauvreté sous l’aspect d’une hypocrite aisance. On sent tout ce qu’un pareil caractère a de scabreux ; comme les conseils de Mme Huguet, s’ils sont différens par l’intention, ne sont pas essentiellement différens par la forme de ceux qu’une entremetteuse souffle aux oreilles de sa proie, il était singulièrement aisé de forcer la note et de présenter ce plus immoral de tous les spectacles, un amour maternel dépravé. Supposez le personnage de Mme Huguet traité par tel autre dramaturge contemporain, et il est probable qu’il ne serait pas supportable. Le tact et la mesure propres à M. Augier l’ont préservé de glisser dans une outrance facile où le caractère maternel aurait perdu tout droit au respect et révolté justement le sens moral du spectateur. Avec un sentiment parfait où la vérité psychologique trouve son compte aussi bien que l’art, il a très bien vu que ce personnage ne ; pouvait avoir ni simplicité, ni franchise logique, et il lui a laissé, toutes le » complications qu’ont pu lui remarquer dans l’a réalité ceux qui ont eu l’occasion de le rencontrer et de l’observer, sa diplomatie sociale aux ; infinies réserves mentales, sa subtilité jésuitique de moyens, sa dialectique de sophiste, son indulgence pour le mal utile et sa complaisance envers la sottise puissante. Lors de la première représentation de la Jeunesse, ce personnage étonna et blessa presque, et