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phénomène de psychologie grotesque que l’éveil du remords dans cette conscience improbe sans méchanceté ! Et la scène où, excédé de ses richesses qui ne lui procurent qu’avanies et déboires, il jette sur le parquet avec colère les sacs d’écus qu’on lui apporte, n’est-elle pas d’un comique amusant bien que sentant quelque peu la farce ? Assurément Ceinture dorée n’est pas une bonne pièce, et cela est regrettable, car la donnée en est excellente tant pour la moralité qui s’en déduit que pour les situations qui s’en tirent naturellement, et les auteurs y ont, sans trop s’en apercevoir, frisé le genre de comédie de l’ancien répertoire. Ce comique à tournure plus populaire, voisin de la caricature, n’est pas aussi marqué dans Un beau mariage ; cependant les deux rôles de Laroche-Pingoley et du baron de La Palud offrent plus d’un trait burlesque analogue à ceux que nous venons de citer. Puisque dans ces deux pièces nous remarquons un certain genre d’esprit que le reste du théâtre de M. Augier ne nous présente pas avec autant d’accent, il est assez naturel d’en conclure que la fusion des deux collaborateurs n’a pu se faire assez étroitement, et qu’une part du talent qui est propre à chacun est restée à leur insu réfractaire à cette délicate opération. L’unité au contraire est complète dans les Lionnes pauvres, qui est pour cette collaboration ce que le Gendre de M. Poirier est pour la collaboration avec Sandeau. Le sujet étant par sa nature de ceux où aucun des collaborateurs n’avait à faire effort pour entrer dans son interprétation, l’accord s’est produit comme de lui-même, et il en est résulté une pièce moins aimable assurément que le Gendre de M. Poirier et d’un intérêt moins général, mais aussi heureusement conçue et venue à terme.

Est-ce à ces deux noms que s’arrêtent tous les collaborateurs de M. Augier ? Oui, selon l’affiche des théâtres ; mais je n’oserais pas assurer qu’il n’y en a pas eu quelque autre plus secret, un de ces collaborateurs sans le savoir qui agissent sur vous par l’exemple sinon par le conseil, et vous montrent la route à suivre, s’ils ne la font pas avec vous. L’hypothèse est peut-être erronée, mais il ne m’est pas bien prouvé que M. Augier eût mis autant de hardiesse à transporter sur la scène la réalité dans ce qu’elle a de plus navrant et de plus scandaleux sans l’exemple de M. Dumas, et que le Demi-Monde ne soit pas pour quelque chose dans le Mariage d’Olympe et les Lionnes pauvres. M. Augier en effet semble avoir plus de décision que d’initiative, il ne trouve pas toujours d’emblée sa route, nous l’avons dit ; mais, une fois qu’il l’a vue ouverte devant lui, il s’y engage avec une fermeté et un entrain que nul ne pourrait surpasser, bien résolu à aller jusqu’au bout. Voyez plutôt le Mariage d’Olympe. La pièce est d’une audace à faire reculer les plus intrépides ; le sujet même du Demi-Monde est timide en comparaison,