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tout approuver confessent que tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des empires possibles. Nous ne parlons pas des cinq milliards, de cette pluie d’or qui n’a fécondé aucun sillon, qui n’a pas fait mûrir un seul épi, de cette richesse tombée du ciel qui n’a enrichi personne. Mais les institutions ont-elles produit jusqu’à ce jour les fruits savoureux qu’on s’en promettait ? On a découvert qu’elles étaient fort défectueuses, et on s’occupe perpétuellement de les corriger, de les amender. La machine crie, on la graisse tous les jours, elle crie encore, on s’adresse au mécanicien, on le conjure d’aviser, il déclare qu’il faut à tout prix diminuer les frottemens, mais il n’a que des expédiens à proposer. Les frottemens, la crise, voilà les deux mots qui depuis près de trois ans ont le plus de cours dans la langue politique de l’Allemagne.

Quand finira la crise ? répète-t-on tous les matins, et la crise ne finit pas. Ce n’est pas la loi sur la suppléance du chancelier de l’empire qui apportera la solution désirée ; ce n’est encore qu’un expédient, et cet expédient ne satisfait personne, hormis l’inventeur. Suppléer M. de Bismarck, c’est se réduire à la condition d’homme-lige ; aussi a-t-il de la peine à se procurer des suppléans, et il reconstitue péniblement le ministère prussien qu’il a si facilement disloqué. Le comte Eulenburg, M. Camphausen, M. Achenbach, sont partis, et on se fait tirer l’oreille avant de recueillir leur succession. M. de Bismarck disait l’autre jour, dans un moment d’impatience, qu’il faudrait bientôt faire une loi de recrutement pour obliger les gens à accepter des portefeuilles. On n’en viendra pas là, il y aura toujours des amateurs de portefeuilles. Un journal allemand remarquait à ce propos que, si le chancelier de l’empire annonçait à son de trompe que telle nuit il fera faire dans Berlin par ses agens des descentes domiciliaires pour se procurer des suppléans, cette nuit-là plus d’un homme politique aurait soin de laisser sa porte ouverte, et ce journal citait parmi les hommes politiques les plus empressés à ne pas tirer leur verrou M. Bethusy-Huc, M, Braun, M. Löwe, M. Bamberger lui-même. Non, il ne se fera point de descente domiciliaire, les députés peuvent dormir tranquilles, on ne viendra pas les chercher dans leur lit, et M. Bamberger, nous le regrettons, ne sera pas ministre de sitôt. La Prusse sera gouvernée une fois de plus par un cabinet de bureaucrates ; mais ce cabinet ne sera pas une solution, et pendant longtemps encore on entendra parler de la crise, vilain mot dont la musique n’est agréable qu’aux oreilles socialistes.

Si on demandait à MM. Liebknecht et Bebel quels sont les événemens de ces dernières années dont ils ont tiré le plus de profit, eux et leurs coreligionnaires, ils répondraient probablement qu’ils doivent la meilleure partie de leurs succès aux fautes commises par le parti libéral, à l’inconsistance de sa conduite, à ses éternelles oscillations. Le libéralisme sérieux et conséquent est l’ennemi que redoutent le plus les