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d’harmonieux, de constant, de permanent, d’uniforme dans l’univers. La diversité et la mobilité sont les principes favoris des Ioniens : l’unité et l’immobilité sont les principes chers aux Italiques.

On a essayé de rapprocher ces deux familles de philosophes, ceux d’Ionie et ceux d’Italie, des deux grandes races qui se partagent la Grèce, la race ionienne et la race dorienne, et il y a en effet quelques analogies. La race ionienne, dont le type est le caractère athénien, paraît plus particulièrement douée de mobilité dans les impressions ; elle est apte à la civilisation, aime le plaisir et les arts, excelle dans le commerce et préfère les institutions démocratiques. La race dorienne, plus ferme, préfère la tradition au changement, les institutions stables et uniformes aux innovations : elle sacrifie l’individu à l’état ; ses institutions sont généralement aristocratiques et plus ou moins communistes. Par là on voit que la philosophie ionienne, plus portée aux phénomènes et ramenant tout au mouvement, correspond bien au caractère ionien, et que la philosophie italique, favorable en toutes choses à l’unité et à l’immobilité, se rapporte davantage au caractère dorien. Cependant, malgré ces présomptions favorables, M. Zeller combat, et selon nous avec raison, ces ingénieux rapprochemens. Cette théorie, comme toutes celles qui donnent une trop grande importance à l’influence des races, est plus ou moins en désaccord avec les faits. Car, d’une part, il se trouve que les chefs des deux grandes écoles italiques, l’école pythagoricienne et l’école d’Élée, étaient tous deux Ioniens. Pythagore était né à Samos, île ionienne de la mer Egée, et Xénophane à Colophon en Ionie : premier démenti donné à la théorie. En outre, les colonies de la Sicile et de la Grande-Grèce étaient des races très mélangées et plutôt achéennes que doriennes. Quoique le dialecte dorien y dominât, ce qui indique la prépondérance du caractère dorien, cet élément devait être assez effacé dans des colonies si mélangées, et trop peu énergique pour avoir les honneurs d’une philosophie. Ajoutons enfin que le pur esprit dorien, tel qu’il était à Sparte, était plutôt antiphilosophique qu’idéaliste comme l’est la philosophie italienne. Il y a donc beaucoup d’arbitraire dans cette théorie : néanmoins elle offre l’avantage de représenter vivement à l’esprit, en traits excessifs, le caractère opposé des deux écoles.

Si maintenant nous considérons à part ces deux écoles, nous trouverons dans chacune d’elles deux grandes directions et deux grandes idées.

La philosophie ionienne est la philosophie du mouvement ; mais on peut s’expliquer le mouvement de deux façons : ou bien comme la manière d’être d’un même sujet qui passe successivement par des états différens, ou par des combinaisons différentes