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italiens s’empressaient de retirer les libertés accordées à leurs sujets sous la pression populaire, le roi de Sardaigne demeura, seul en Italie, et presque seul en Europe, fidèle au statut qu’il avait juré. C’est de ce jour qu’il mérita le surnom de roi honnête homme, re galantuomo, qui dans sa simplicité est l’un des plus beaux que souverain ait jamais portés. Il est probable qu’au milieu de ses tristesses, Victor-Emmanuel ne se rendait lui-même pas bien compte de tout ce qu’il conservait en gardant la constitution et le drapeau de 1848. En fait, il avait beau ouvrir à l’Autriche ses forteresses, — avec le statut dans une main et le drapeau tricolore dans l’autre, il gardait les deux armes qui lui devaient bientôt conquérir l’Italie.

Le jour du relèvement national semblait désespérément éloigné. L’Italie paraissait plus loin que jamais, plus loin qu’en 1815 et en 1821, du double but où la devait conduire le nouveau roi. Les Autrichiens occupaient les places fortes du Piémont, ils tenaient garnison à Parme, à Modène, à Bologne, à Florence, à Livourne aussi bien qu’à Venise et à Milan ; les Français étaient à Rome, l’étranger partout. Qui eût dit alors qu’en dix ans, qu’en vingt ans au plus, l’Italie tout entière, des Alpes à l’Etna, serait réunie sous le sceptre constitutionnel du roi de Novare ? C’est pourtant de ces souffrances et de ces humiliations qu’est né le royaume d’Italie. L’unité italienne s’est virtuellement faite dans les dures années qui suivirent Novare, dans ces années de dépression où la communauté du malheur rapprochait tous les Italiens. Les esprits et les cœurs s’unifiaient avant les provinces. De Venise à Naples, tous les yeux se tournaient vers le Piémont, seul demeuré fidèle au programme de 1848. Dans le Piémont, l’Italie entière avait une presse et une tribune libres. Les patriotes qui avaient échappé à la mort et au bagne sortaient de leur ancien isolement, les exilés affluaient à Turin. Les états sardes, dernier abri de la pensée nationale, servaient de refuge aux libéraux chassés de toutes les petites capitales et réunis dans la persécution par ceux mêmes qui eussent eu le plus d’intérêt à les tenir séparés.

Grâce à Victor-Emmanuel, la péninsule s’habituait ainsi à regarder le petit royaume subalpin comme la contrée d’où lui devaient venir la lumière et la liberté. Toutes les espérances convergeaient vers ce coin de terre, vers cette marche des Alpes si longtemps restée indifférente et presque étrangère à l’Italie. Dans l’humiliation de la patrie commune, les Italiens étaient fiers du Piémont comme d’une gloire nationale, ils le montraient aux étrangers comme une preuve de ce que pouvaient faire les Italiens rendus à eux-mêmes. Le nom de Victor-Emmanuel commençait à être murmuré tout bas dans les familles, dans les écoles, dans les prisons, en attendant qu’il retentît dans les rues et sur les places publiques. L’écu de