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murailles des cités italiennes. A trois siècles de distance, il me semblait lire dans ces pages une prophétie des destinées de l’Italie, tant cette lointaine vision du secrétaire de la république florentine s’est de nos jours réalisée pour ceux qui se présentaient au nom de Victor-Emmanuel. Le prince invoqué par les pressentimens de Machiavel s’est enfin rencontré, mais combien différent du sombre modèle imaginé par le Florentin ! C’est par sa loyauté de roi et sa bravoure de soldat, c’est par son dévoûment à la commune patrie, que Victor-Emmanuel a séduit et gagné l’Italie.

On ne sait pas assez d’ordinaire la part de Victor-Emmanuel dans ce grand mouvement, l’influence de son nom et de sa popularité. C’est en son nom que se faisait partout la révolution, c’est à lui personnellement que se donnaient les villes et les petits états en révolte contre leurs maîtres de la veille. Italie et Victor-Emmanuel était la formule magique qui d’une mer à l’autre ouvrait toutes les portes, renversait toutes les barrières. J’ai passé en Italie la première moitié de cette année 1860 qui a décidé du sort de la péninsule ; j’étais alors étonné de rencontrer souvent sur les murs ces mots bizarres : Viva Verdi ! La renommée du musicien qui plus d’une fois semble avoir exprimé les douleurs et les colères de ses concitoyens ne suffisait pas à m’expliquer ce singulier enthousiasme. J’eus bientôt le mot de l’énigme ; sous le couvert de Verdi, c’était Victor-Emmanuel qui était ainsi acclamé. Le nom du compositeur n’était que l’anagramme du titre décerné par la nation au roi de Piémont : Vittorio-Emmanuele re d’Italia. Partout alors c’était la même expression qui revenait : vogliamo Viltorio, et, quand il s’agit de consacrer officiellement les annexions, partout, à Naples, à Florence, comme plus tard à Venise et à Rome, ce que votait le peuple dans ses plébiscites, c’était l’union au royaume constitutionnel de Victor-Emmanuel.

Lorsqu’au lendemain de ces annexions M. de Cavour succombait subitement, laissant inachevée l’œuvre dont il paraissait le principal ouvrier, l’unité italienne, encore mal cimentée et comme à peine échafaudée, semblait devoir s’écrouler du coup. Il n’en fut rien, Cavour fut remplacé par ses disciples ou par ses rivaux, et l’édifice national fut consolidé et couronné. À ce moment décisif, il n’y aurait eu pour nos voisins qu’une perte difficilement réparable, la perte du roi. A l’Italie inachevée, la mort de Victor-Emmanuel eût alors enlevé sa devise et sa bannière. C’était le seul nom capable d’effacer toutes les dissidences qui pendant longtemps avaient rendu les patriotes impuissans. Pour Victor-Emmanuel, les républicains abdiquaient leurs théories, étonnés de recevoir des mains d’un roi l’unité et la liberté ; pour lui, les libéraux modérés et les conservateurs risquaient, une révolution, sûrs de retrouver le