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l’un hors de l’Allemagne, l’autre hors de l’Italie, était trop manifeste pour ne pas éclater un jour aux yeux des politiques des deux pays. Quand la guerre de 1859 ne leur en aurait pas donné le signal, l’Allemagne et l’Italie n’en eussent pas moins tôt ou tard recommencé la révolution avortée de 1848 ; quelque Bismarck prussien n’en eût pas moins repris au compte de son roi le rôle unificateur que la Prusse avait refusé en 1848, et ce jour-là le Piémont, aidé de la révolution italienne, n’eût pas prêté à l’état-major de Berlin un concours beaucoup moins efficace que l’armée novice de Custozza.

Si l’histoire n’est ni le jeu du hasard ni le produit des fantaisies individuelles, les destinées de l’Italie n’étaient pas irrévocablement enchaînées à la politique ou à l’existence même d’un Napoléon. La volonté d’un homme, quelque puissant qu’il semble, peut modifier les voies de l’histoire, elle n’en saurait guère altérer la fin. En passant les Alpes en 1859, la France n’a probablement fait que ravir à d’autres l’honneur et le profit d’ouvrir à la péninsule le chemin de l’indépendance. Mieux vaut pour nous avoir pris l’initiative de cette guerre mémorable, qui, selon les récentes paroles d’un homme d’état italien, « a rendu cher à l’Italie le nom de la France[1]. » En offrant le concours de ses armes à une nation qui lui était rattachée par tant de liens, la France n’a fait du reste qu’obéir à ses généreux instincts. De toutes les guerres du second empire, la guerre d’Italie a été la seule populaire, parce qu’elle était la seule dans l’esprit de la révolution, qui prédestinait la France à ce rôle émancipateur. Le malheur pour notre pays et pour l’Europe est que les rênes de la politique européenne aient été saisies par une main trop débile ou trop hésitante pour la diriger ; c’est que l’initiative de la réforme territoriale du continent ait été prise par un esprit trouble, confus et incertain, ayant des visées plutôt que des desseins, incapable de mesurer la portée ou la force des événemens qu’il déchaînait, et ne sachant ni les accepter, ni les régler, ni les arrêter[2] !

La résurrection politique de la péninsule n’était pas seulement dans l’ordre naturel de l’histoire. C’était un bienfait pour la civilisation européenne, ainsi remise en possession d’un de ses membres essentiels, et ainsi délivrée d’un des ennemis de sa sécurité. L’Italie morcelée et assujettie semblait avoir fait un serment contre la paix de l’Europe ; ne pouvant recourir au canon, elle s’était armée du poignard et des bombes, et sur la tombe de ses patriotes elle avait juré de ne jamais permettre à ses voisins de jouir tranquillement des biens qui lui étaient déniés. Du jour où elle est devenue libre,

  1. Discours de M. Sella aux funérailles da général La Marmora à Biella.
  2. Voyez à ce sujet notre étude sur la Politique du second empire, dans la Revue du 15 avril 1872.