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l’Italie a renoncé à ce rôle de trouble-fête. L’indépendance a réconcilié avec le repos de l’Europe la patrie des conspirateurs incorrigibles et des agitateurs cosmopolites. Mazzini n’a point eu de successeur, Orsini est demeuré le dernier des héros italiens de l’assassinat politique. Le vieil Etna révolutionnaire, toujours prêt à de soudaines éruptions, a cessé pour jamais de remuer le sol de l’Europe.

Cette soudaine transformation était à prévoir, elle avait été annoncée par Victor-Emmanuel. « Je sais, disait le roi de Sardaigne en 1860, au moment même où il se mettait à la tête de la révolution, je sais qu’en Italie je clos l’ère des révolutions[1]. » Le roi de Piémont disait vrai : le sentiment national satisfait a étouffé le sentiment révolutionnaire. C’est là un des plus merveilleux exemples de l’apaisement que peut produire chez un peuple le triomphe de ses aspirations nationales. Victor-Emmanuel restera dans l’histoire comme le type et le modèle de ces hommes trop rares qui osent se mettre à la tête d’une révolution et savent la conduire.

L’Italie nouvelle doit être pour l’Europe un élément d’ordre et de paix. Pendant des siècles, durant tout le moyen âge et l’époque moderne, l’Italie a été pour ses voisins, pour la France en particulier, un champ de bataille toujours ouvert, toujours arrosé d’un sang stérile. De Charles d’Anjou et des vêpres siciliennes, des folles guerres de Charles VIII, de Louis XII, de François Ier aux grandes campagnes de la révolution et de l’empire, il serait difficile de compter les milliers et milliers de ses soldats que la France a laissés dans les champs de la péninsule. En devenant une et indépendante, l’Italie a pour jamais cessé de mériter le nom de tombeau des Français. Par la création du royaume d’Italie, la maison de Savoie a relevé la barrière des Alpes, que le morcellement de la péninsule semblait avoir laissé tomber. Désormais la France n’a pas plus à intervenir au-delà des Alpes qu’au-delà des Pyrénées, car, pour les peuples comme pour les particuliers, les bonnes clôtures font les bons voisins. Il n’y a plus de question italienne, et ainsi a disparu du sol de l’Europe une des plus fréquentes occasions de conflits, une des plus anciennes causes de guerre.

Le nouveau royaume de la maison de Savoie doit devenir pour l’Europe un gage d’équilibre en même temps qu’une promesse de paix. L’Italie, remise en possession de son indépendance, est autant que personne intéressée à ce qu’aucune puissance ne s’élève assez au-dessus des autres pour les offusquer de son ombre et les

  1. « In Europa lamia politica, non sarà forse inutile a riconciliare il progressé dei popoli colla stabilHà delle monarchie. In Italia se cheio chiudo l’era delle rivoluzioni. » Proclamation du roi Victor-Emmanuel du 9 octobre 1860.