Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/931

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaître l’échange qui lui a été proposé et où il déclare « le repousser énergiquement. » Ce mémorandum ne contient aucune récrimination contre la Russie : à peine fait-il allusion « aux sacrifices de sang et d’argent en retour desquels la Roumanie espérait une meilleure récompense, » il ne fait pas valoir non plus les légitimes appréhensions que doivent inspirer les vues ambitieuses de la Russie ; il se borne à invoquer la nécessité pour la Roumanie de conserver un territoire dont la restitution, en 1856, a exercé l’influence la plus favorable sur sa prospérité commerciale, et le devoir pour les puissances de rester fidèles à la politique qui les a déterminées « à assurer la libre navigation du fleuve qui forme la principale artère commerciale de l’Europe centrale, en confiant la garde de ses embouchures à un pays d’importance secondaire dont la constante déférence aux intentions des puissances était par là même certaine. » Enfin il exprime la crainte que la perte de la Bessarabie ne produise dans la Roumanie une commotion et des souffrances qui pourraient devenir une cause de « nouveaux troubles » en Orient. On ne peut que rendre justice à la modération et à l’habileté du mémorandum roumain ; malheureusement il est à craindre que la résistance du gouvernement de Bucharest ne se heurte à une détermination inflexible : aux motifs politiques qui dictent la demande de la Russie se joignent des raisons d’orgueil national et d’amour-propre personnel. Sans doute, la Russie veut arriver jusqu’au Danube, afin d’avoir le droit d’intervenir chaque fois qu’il s’agira de réglementer la navigation de ce grand fleuve ; mais en même temps elle veut reprendre possession d’un territoire qui a été russe pendant quarante-quatre ans, le tsar veut effacer jusqu’au dernier vestige du traité de Paris.

La Serbie n’est pas le seul état dont les rêves d’ambition soient détruits par la constitution de la Bulgarie en principauté autonome et par l’extension donnée au territoire bulgare. La Grèce s’est toujours considérée comme l’héritière présomptive de l’empire ottoman, elle prétend que Canning était guidé par cette pensée en travaillant à faire reconnaître l’indépendance hellénique, et c’est à ce titre que la mémoire de cet homme d’état est demeurée en grande vénération à Athènes. La cession spontanée des îles Ioniennes n’a fait que confirmer les Grecs dans la croyance que l’Angleterre leur donnerait par fractions successives les dépouilles de la Turquie. « N’allez-vous pas nous faire céder la Crète ? N’est-il pas temps qu’on nous donne la Thessalie et la Macédoine ? » Telle est l’invariable question adressée par les Grecs aux représentans de l’Angleterre, dès qu’un incident quelconque surgit en Orient. Si on leur reproche l’instabilité de leur gouvernement, ou le désordre de leurs finances, ils s’excusent sur l’impossibilité où ils sont, avec