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incessantes dont l’Autriche souffrira la première et plus qu’aucune autre puissance. Ne soyons donc pas surpris du langage tenu au sein de la délégation hongroise, lorsque le comte Andrassy a demandé le vote d’un crédit de 60 millions de florins. Les orateurs de l’opposition, en annonçant la résolution de voter le crédit, ont exprimé l’appréhension qu’il ne fût déjà trop tard, et que le gouvernement n’eût laissé échapper le moment favorable d’agir en ne prenant pas dès le début une attitude énergique. A laisser les événemens suivre leur cours, n’avait-on pas compromis les intérêts de l’Autriche en rendant à peu près impossible le rétablissement de l’intégrité territoriale de la Turquie, seule solution qui pût donner une satisfaction complète à ces intérêts ? Les orateurs qui tenaient ce langage le 19 mars ne connaissaient encore que les préliminaires de paix ; qu’eussent-ils dit, s’ils avaient eu sous les yeux le texte du traité de San-Stefano ! En réponse aux critiques dont sa temporisation avait été l’objet, le comte Andrassy a constaté que cette conduite avait tout au moins le mérite d’avoir conservé jusqu’à présent à la monarchie les bienfaits de la paix ; il a ajouté qu’elle n’avait rien compromis, puisqu’il était encore temps de faire valoir et de défendre les intérêts qui seraient jugés en péril. Le comte Andrassy ne pouvait confesser qu’une attitude énergique avait été rendue impossible par l’alliance des trois empereurs, que l’influence du souverain qui se croyait personnellement engagé vis-à-vis du tsar s’était en toute occasion exercée dans le sens de l’abstention, que la Prusse avait toujours recommandé une politique expectante, enfin que la situation de l’Europe et l’état des finances autrichiennes ne permettaient pas à l’Autriche d’agir seule, et que toutes les velléités d’intervention ou de médiation du cabinet de Vienne avaient dû s’évanouir en présence des hésitations, des contradictions et des reculades de l’Angleterre. Le ministre autrichien aurait pu ajouter pour sa justification, et l’on doit reconnaître à sa louange, que, dans ses communications aux puissances, il n’a cessé de rappeler à toutes, et spécialement à la Russie, qu’il ne dépend pas d’une seule partie contractante de mettre à néant des traités que l’Europe a contre-signés, et que ces traités ne peuvent être révisés que par l’intervention de l’Europe. Ce n’est donc point sans quelque fondement qu’il a demandé à ses critiques de suspendre leur jugement définitif. La thèse soutenue par le comte Andrassy, les 19 et 20 mars, dans les discussions auxquelles se sont livrées les délégations hongroise et autrichienne, a été que, pour la protection des intérêts de la monarchie, la voie des négociations avait été préférable à l’emploi des armes. Voilà pourquoi l’Autriche, dès qu’elle a connu la signature des préliminaires de paix, a mis en avant l’idée d’une conférence ou d’un