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21 février pour constater cet arrangement, qui réduisait à une simple tolérance la présence des vaisseaux anglais dans les eaux turques. Enfin le gouvernement russe mit le comble à la mesure en se prétendant hors d’état de donner aucun renseignement sur les négociations de San-Stefano, comme si le télégraphe n’existait pas, et comme si une seule clause du traité pouvait être écrite sans que la rédaction en eût au préalable été agréée à Saint-Pétersbourg. Il était trop facile de voir que ce mystère n’avait d’autre but que de lier la Turquie par des engagemens définitifs et de placer l’Europe, lorsqu’elle se réunirait en congrès, en face de faits accomplis et en apparence irrévocables. La publication des dépêches de M. Layard, en prouvant que lord Derby connaissait déjà depuis plusieurs mois les exigences de la Russie et avait été averti de leur gravité, avait déjà irrité l’opinion contre le chef du foreign office : le déchaînement contre son imprévoyance et sa faiblesse devint tel que le mot de mise en accusation fut murmuré jusqu’au sein du parlement, tandis que les ovations étaient prodiguées à lord Beaconsfield. L’explosion du sentiment populaire fut si forte qu’il n’était plus possible aux ministres anglais d’hésiter sur la voie dans laquelle ils devaient entrer : la conduite la plus énergique et la plus ferme pouvait seule répondre au vœu de la nation.

Ce fut dans cet esprit qu’ils examinèrent l’attitude à prendre au sein du congrès ; mais ne s’y trouveraient-ils pas en face d’une Allemagne prête à user de toute son influence en faveur de la Russie ?

Le sentiment de M. de Bismarck sur la question d’Orient était un problème qui exerçait depuis longtemps la sagacité de la diplomatie. On aurait pu, cependant, induire du langage tenu en diverses circonstances par le chancelier allemand, qu’indifférent au sort de la Turquie il ne se préoccupait des événemens d’Orient qu’autant qu’ils pouvaient amener un conflit entre la Russie et l’Autriche, et mettre en péril cette alliance des trois empereurs dont l’Allemagne recueille le principal profit. Le 1er décembre 1876, à l’occasion de la réunion du Reichstag, M. de Bismarck donna un grand dîner parlementaire, à la suite duquel il s’entretint avec les principaux députés ministériels de la question d’Orient, qui semblait prendre une tournure menaçante, et on lui prêta le langage suivant : « Je n’ai pas une très haute opinion de la vocation de la Russie pour protéger et civiliser les sujets chrétiens de la Porte. L’armée russe n’est pas non plus très bien préparée pour la guerre, si mes renseignemens sont exacts. Cependant, si nous essayions de déconseiller la campagne qui est sur le tapis, quoiqu’elle ne soit pas encore certaine, nous risquerions de blesser les susceptibilités de la nation russe, ce qui serait pire que de froisser son gouvernement. S’il doit y avoir une guerre. l’Allemagne