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demeurera neutre, et au bout de quelque temps elle offrira ses services pour le rétablissement de la paix. C’est seulement dans le cas où l’Autriche serait entraînée dans la lutte et gravement atteinte que l’Allemagne interviendrait pour sauver l’existence de l’empire austro-hongrois dans sa forme et dans ses limites actuelles. La conservation de l’empire d’Autriche est indispensable à la sécurité de l’Allemagne, et je n’hésite pas à dire que, si la question d’Orient devait allumer la guerre entre la Russie et l’Autriche, celle-ci, quelle que fût l’issue de la campagne, pourrait compter sur l’appui de nos armes pour le maintien de son intégrité. » Ce langage était significatif ; mais on doit reconnaître que, quelques jours après, le 5 décembre, en répondant à une interpellation du député Richter, M. de Bismarck fut moins explicite ; « aussi longtemps, dit-il, que le gouvernement actuel sera au pouvoir, il demeurera en termes d’entente et d’amitié avec la Russie. En parlant ainsi, je ne me borne pas à exprimer mes vues personnelles, j’exprime aussi les sentimens de sa majesté l’empereur. L’alliance qui a si étroitement uni les trois empereurs depuis quelque temps déjà est encore dans toute sa force. Nos relations avec l’Angleterre ne sont pas moins amicales qu’avec la Russie… Dans le désir que nous avons de maintenir des rapports d’amitié avec l’Angleterre, la Russie et l’Autriche, il est de notre intérêt d’essayer d’éviter un conflit entre ceux que nous souhaitons de comprendre dans la même affection ; mais, si une guerre devait éclater, je conseillerais certainement à sa majesté de suivre l’exemple donné par Frédéric-Guillaume IV en 1854, et de se tenir en dehors de la lutte, à moins que les intérêts de sa couronne ne fussent atteints ou menacés. » Toutefois, ainsi que le député Liebknecht le rappelait le 19 février dernier, M. de Bismarck, après avoir contesté que la Russie nourrît aucun projet de conquête en soulevant la question d’Orient, ajouta que, s’il en était autrement dans l’avenir, si la Russie venait à changer d’intention, la conduite de l’Allemagne changerait également. Il convient encore de rappeler que chacune des entrevues qui eurent lieu à l’automne dernier entre M. de Bismarck et le comte Andrassy fut célébrée par la presse officieuse de Berlin comme une marque et une confirmation de l’étroite communauté de vues qui existait entre ces deux hommes d’état. Néanmoins la neutralité bienveillante de l’Allemagne a été si utile à la Russie en déterminant la neutralité de l’Autriche et l’abstention de l’Angleterre, que l’opinion européenne s’est obstinée à croire à une entente secrète entre Berlin et Saint-Pétersbourg.

Une vive curiosité ne pouvait donc manquer de s’attacher à l’interpellation que M. de Bennigsen avait annoncé l’intention de faire au sein du Reichstag « sur la situation politique en Orient et