Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/947

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un arrangement et de ne pas renvoyer la solution de cette affaire à une époque ultérieure et peut-être moins favorable. »

M. de Bismarck admettait, il est vrai, que l’absence ou l’insuccès d’un congrès n’aurait pas pour conséquence inévitable une collision entre les puissances. « Si la Russie, disait-il, ne pouvait obtenir à présent l’acquiescement des autres signataires du traité de 1856, elle s’en consolerait avec la maxime : Beati possidentes. » Seulement, s’il est loisible à la Russie de maintenir de son mieux les faits accomplis, il n’est pas en son pouvoir d’en imposer le respect aux autres puissances. Comment contraindre celles-ci à reconnaître l’autonomie de la Bulgarie et l’indépendance de la Serbie et du Monténégro ? Si les négocians anglais refusent d’acquitter à Kavala, devenu port bulgare par la seule volonté de la Russie, d’autres droits que ceux qu’ils payaient à la douane turque, et si ce refus est appuyé par un vaisseau cuirassé ; si l’Autriche refuse de reconnaître l’autorité du Monténégro sur Antivari, et bloque ce port comme un repaire de contrebandiers, que fera la Russie à moins de déclarer la guerre à l’Angleterre et à l’Autriche ? Si les puissances maritimes dont les sujets sont créanciers de la Turquie s’entendaient pour occuper Varna, Bourgas et les autres ports de la Mer-Noire, considérés par elles comme continuant d’appartenir au sultan, et pour y percevoir les droits de douane au profit de leurs nationaux, la Russie ferait-elle la guerre à une moitié de l’Europe pour protéger les finances d’une prétendue Bulgarie ? Le gouvernement russe serait ainsi sans cesse sous le coup d’un conflit avec toute puissance qui voudrait faire naître une querelle.

La réunion d’un congrès était donc désirable pour la Russie, et le prince Gortchakof en accueillit d’autant plus favorablement la proposition qu’il était loin de prévoir les difficultés qui allaient surgir. Le prince était convaincu que tout différend avec l’Autriche serait aisément aplani par l’entremise de l’Allemagne, au moyen de concessions dont le germe avait été déposé à dessein dans les articles relatifs aux délimitations territoriales, par l’admission d’une révision ultérieure. Quant à l’Angleterre, dont il mesurait l’énergie aux tergiversations de lord Derby, le chancelier russe comptait qu’elle serait réduite à l’impuissance par la conscience de son isolement, et qu’en dernier ressort elle préférerait une compensation quelconque à une guerre dans laquelle elle ne serait soutenue par personne, et qu’il paraissait impossible de faire accepter par le peuple anglais. L’adhésion de la Russie à la réunion d’un congrès fut donc annoncée, dès le 7 mars, par le Journal de Saint-Pétersbourg dans un article attribué au baron Jomini, l’un des secrétaires du prince Gortchakof, et où se trahissaient la confiance du gouvernement russe et l’attente d’un succès diplomatique. Mais l’on