Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/971

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est-à-dire, pour marquer les dates avec précision, de 1694 à 1878, bien des générations d’académiciens ont pris part à ce travail si simple en apparence, au fond si délicat et si compliqué. De quoi s’agit-il, en effet, dans ce dictionnaire ? Il s’agit de fixer l’usage des mots. L’usage est le grand maître ici, car il est le seul maître. Si volet usus, dit Horace ; c’est la règle éternelle, la règle de tous les temps et de tous les idiomes. Seulement, où donc commence l’usage ? Qui aura le droit de dire que l’usage existe ? Et cet usage même, à supposer que le fait n’en soit pas contestable, qui le jugera ? Qui pourra décider s’il est admissible ou s’il est condamnable, s’il est conforme ou contraire aux traditions, aux analogies, au travail séculaire, aux inspirations spontanées, en un mot au génie de la langue ? Il fallait pour cela une autorité constituée. La grande pensée de Richelieu est d’avoir formé dans cette vue un tribunal composé à la fois des représentans des lettres et des représentans de la haute société française. Le rôle de l’Académie, dans la rédaction de son dictionnaire, consiste donc simplement à dire que pour tel mot, telle locution, telle forme de langage, l’usage existe et doit être approuvé.

A quel examen, à quels débats, à quelles fines et délicates analyses donnent lieu ces problèmes de l’usage, du bon usage français, on peut en prendre une idée si on lit attentivement la belle et solide préface de M. de Sacy. Le savant rédacteur s’est appliqué à mettre en lumière les principes qui ont guidé l’Académie dans son travail. Cet exposé des principes auxquels ont obéi tant de générations, et, parmi ces générations, tant de personnages divers, le conduisait naturellement à reproduire les traditions de l’œuvre commune. De là l’idée excellente de réunir les six préfaces antérieures et de les mettre en regard de la septième. C’est là un des grands attraits de l’édition de 1878. Rechercher, rassembler, comparer ces préfaces, c’était affaire d’érudition et de patience ; aujourd’hui nous les avons toutes sous la main, et la comparaison qu’on peut en faire si aisément renferme de la façon la plus authentique l’histoire intime du dictionnaire. Il est probable qu’on ne commettra plus désormais tant de bévues au sujet de cet ouvrage ; du moins celles que l’on débitera encore n’auront plus la même excuse. Nous ne parlons pas, bien entendu, des critiques qui s’adressent au détail de l’exécution ; M. de Sacy lui-même s’en explique avec le plus juste sentiment des convenances. C’est lui qui écrit ces mots dans sa préface : « Un dictionnaire, on ne saurait trop le redire, n’est jamais une œuvre parfaite. Des oublis et des omissions, il y en a toujours. On en avait relevé dans le dictionnaire de 1835, on en relèvera dans celui-ci. » Et plus loin : « Le champ reste libre d’ailleurs, est-il nécessaire de le dire ? aux créations du génie et du talent. La porte n’est jamais fermée aux expressions neuves et aux tours hardis qu’une inspiration heureuse peut tout à coup faire naître sous une main habile et savante.