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idées qu’éveille dans l’esprit ce que nous savons sur la vie de ces princes de la renaissance italienne et française !

Envisagé à ce point de vue, le Palais-Vieux lui-même laisse peut-être quelque chose à désirer. Sans doute il est impossible d’imaginer un édifice d’un aspect plus imposant et d’une silhouette plus fière ; mais quelle conjecture formerait au sujet de ce monument un voyageur que l’on transporterait au milieu de la place de la Seigneurie, sans lui avoir rien appris du passé de Florence ? Ne serait-il pas tenté tout d’abord de reconnaître là une forteresse élevée par un despote, pour tenir en respect une ville sujette ? N’y chercherait-il point une sorte de bastille italienne dont le temps aurait plus tard comblé les fossés ? Dès que l’on a feuilleté les annales de la république, on s’explique l’énormité de cette masse, la vigoureuse saillie de l’étage supérieur avec ses mâchicoulis et ses créneaux, l’étroitesse et le petit nombre des baies ouvertes dans la façade et sur les côtés ; pour achever de comprendre la raison d’être de toutes ces dispositions, il suffit d’ailleurs de passer en revue les palais des grandes familles florentines. De toute nécessité, le palais du gouvernement devait être plus haut et plus fort que les demeures seigneuriales de tous ces nobles hardis et remuans qui se disputaient le pouvoir ; il devait être à l’abri d’un coup de main tenté par l’aristocratie gibeline ou par les gens de métier, par la plèbe soulevée. En ce sens, l’architecte a très bien rempli les conditions du programme que lui imposait la vie troublée des républiques italiennes au XIIIe siècle ; son œuvre nous les remet en mémoire avec une singulière insistance. Il n’en est pas moins vrai que, dans ce colossal entassement de pierres, rien ne nous annonce, au premier moment, l’édifice où siégeaient les magistrats élus d’une cité libre, où se réunissaient les citoyens appelés à délibérer sur les intérêts communs. L’idée de la loi qui naît du concours de toutes les volontés, et qui offre à tous son impartiale justice, les cités antiques ne l’ont-elles pas bien plus clairement exprimée dans le dessin des édifices qu’elles ont affectés à ces mêmes fonctions de la vie publique ? C’étaient, comme la Pnyx, comme le Comitium, des enceintes spacieuses, où le peuple se réunissait à ciel ouvert, autour de l’autel de ses dieux et de la tribune d’où lui parlaient ses orateurs ; c’étaient encore, comme les Dikastères et le Tholos d’Athènes, des édifices qui donnaient à portes ouvertes sur la voie publique et où une simple barrière de bois séparait de la foule jurés et sénateurs ; c’étaient les nefs amples et claires des basiliques romaines, où quelques degrés suffisaient à isoler dans sa majesté le préteur qui disait le droit, à l’élever au-dessus des têtes comme il était élevé par sa haute fonction sociale au-dessus des intérêts particuliers et de leurs convoitises.