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pas avec moins de curiosité l’âme et l’esprit de Machiavel dans un buste anonyme où l’on a cru reconnaître l’illustre écrivain. Cette attribution est contestée. L’ouvrage n’en reste pas moins intéressant ; l’exécution en est excellente. La physionomie, grave et méditative, sied, bien au personnage. C’est à peu près ainsi que nous sommes disposés à nous représenter l’auteur du Prince, des Discours sur Tite-Live et de l’Histoire de Florence.

Les Florentins ne se sont pas contentés d’exceller dans le portrait proprement dit ; ils en ont introduit le goût et le style dans la sculpture religieuse. Là encore ils se sont moins préoccupés de la beauté que de la vérité historique, telle que la leur donnaient les textes sacrés qu’ils étaient chargés de mettre en œuvre. Un exemple, choisi entre plusieurs, éclaircira notre pensée.

Regardez et comparez les deux saint Jean-Baptiste de Donatello qui se trouvent au musée, placés l’un près de l’autre dans la même salle. L’un est une statue, propriété de l’état, tandis que l’autre, un merveilleux bas-relief, appartient au comte Rosselmini Gualandi. Dans le bas-relief, saint Jean est à peine un adolescent, c’est encore presque un enfant, mais c’est un enfant prédestiné. Tout le caractère est dans la tête, à laquelle la bouche, largement ouverte, donne une expression très particulière. On y lit l’enthousiasme et l’extase ; un cri prophétique semble s’échapper de ces lèvres écartées et frémissantes. C’est bien le Précurseur, celui qui, dans l’ombre même du sein maternel, avait déjà tressailli de joie en sentant venir la vierge qui allait enfanter le sauveur d’Israël. Quant au corps, qui est traité avec une délicatesse exquise, il a toute la gracilité de l’enfance finissante, mais rien de plus, — ou plutôt rien de moins. Pas de maigreur exagérée, exceptionnelle ; rien qui ne convienne, d’une manière générale, à l’âge du sujet. C’est que le saint ne s’est pas encore retiré au désert, qu’il n’y a point commencé sa mission, que son corps n’a point encore été usé et comme dévoré par la chaleur, par la faim, par la soif, par la haine du mal et le zèle de la maison du Seigneur ; Jean n’a encore ni jeûné ni prêché. La statue, c’est au contraire l’homme fait, celui que son rôle providentiel et tragique a mis à part entre tous les envoyés de Dieu. Donatello a-t-il donc eu une vision ? A-t-il vu le fils d’Elisabeth sortir du milieu des roseaux qui bordent ce Jourdain où les foules venaient chercher le baptême de repentance ? A-t-il vu se dresser sur la grève du fleuve l’ardent ascète dont le court apostolat devait aboutir si vite au cachot et au glaive d’Hérode ? Non certes ; mais il a médité ce verset de saint Marc : « Jean était vêtu de poil de chameau, il avait une ceinture de cuir autour de ses reins, et vivait de sauterelles et de miel sauvage. » C’est le texte sacré qui a fourni au sculpteur comme l’esquisse de la figure devant laquelle nous avons cru devoir nous