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nationale, M. Léopold Delisle, à qui la publication de M. Tollemer est dédiée, et qui a bien voulu nous communiquer l’unique exemplaire qu’en possède la Bibliothèque, car le modeste volume n’est même pas dans le commerce ; L’abondance des chiffres précis sur le prix des choses et des services, les indications sur les cultures, nombre de traits qui éclairent la condition des classes rurales, le tableau naïf de l’existence d’un châtelain de ce temps-là, puis, dans la dernière partie, de curieux épisodes des guerres de religion, constituent un document des mieux faits pour servir aux recherches qui se portent sur la vie du passé[1].

Le travail de M. Tollemer a une valeur qui subsisterait après la publication même plus complète du manuscrit. Il en met non-seulement sous les yeux les parties les plus intéressantes, mais il leur donne une certaine unité. Avec beaucoup de sagacité, l’auteur a su ramener à un certain nombre de têtes de chapitre des matières éparses, jetées pêle-mêle au jour le jour. Nous pouvons de la sorte nous reconnaître dans ce répertoire de faits classés par ordre ; l’éditeur tour à tour résume ou cite le texte, qu’il commente avec une grande connaissance personnelle des choses de ce temps.

Outre les faits matériels, les indications si précieuses à recueillir, essayons de reproduire la physionomie morale de ce tableau. C’est une existence curieuse à plus d’un titre qui revient à la lumière, c’est une figure originale, le vrai type d’une classe de gentilshommes ruraux. Nous pénétrons dans l’intérieur d’un manoir. Nous voyons comment on y vit, quelles gens l’habitent, quelles sont ses relations avec le dehors, quelle est la condition faite au travail, enfin où en sont la moralité, la sécurité, la justice dans ces campagnes.


I

C’est en plein milieu du XVIe siècle que s’ouvre le journal du sire de Gouberville. Le moment était bon pour la Normandie ; elle avait repris une partie de sa prospérité, si fortement et si longtemps éprouvée par des guerres calamiteuses. Depuis le XIIIe siècle, l’ancien duché avait perdu son indépendance et l’éclat dont il avait longtemps brillé. Mais pendant toute la durée de ce siècle même et la première moitié du XIVe la vieille province avait maintenu sa place au premier rang. Elle avait mis la main dans les

  1. Au moment où ces lignes étaient écrites, je reçois de M. Tollemer une lettre qui m’apprend qu’une copie de cet immense manuscrit, « ayant la forme de nos grands agendas, et dont la première liasse mesurait 30 centimètres sur la longueur, 10 sur la largeur et autant sur l’épaisseur, » vient d’être achevée par les soins du même éditeur et adressée à la Bibliothèque nationale.