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plusieurs reprises. Je n’ai garde d’en reproduire ici la liste, qui serait longue et hors de sa place ; mais on peut en dégager certaines conclusions. Comparant entre eux ces salaires, je trouve qu’ils oscillent entre 8 deniers, taux le plus bas et le plus rare, 20 deniers, taux fréquent, et 2 solz (ou 2 francs environ) pour les ouvriers d’élite, taux qui n’est dépassé que pour les travaux agricoles de nature urgente, pour les faucheurs par exemple. En outre notre châtelain fournissait, on l’a vu, tout ou au moins partie de la nourriture de ceux qu’il employait. Tenons-nous-en au salaire en argent. Ce salaire maximum donne 12 solz (ou francs) par semaine. N’est-il pas remarquable que ce soit justement la moyenne la plus élevée qu’on trouve dans cette période pour le prix du boisseau de blé, indiqué ici année par année ? Je ne voudrais pas en tirer des conclusions exagérées. Notre savant éditeur pose en fait que, le salaire de l’ouvrier dans nos campagnes étant aujourd’hui environ de 1 franc, il faut estimer qu’il est deux fois moins payé, et que sa situation est en somme moins avantageuse. C’est aller bien loin. Le chiffre de 2 francs, comme expression du salaire au XVIe siècle en Normandie, est au-dessus d’une exacte moyenne ; celui de 1 franc pour l’époque présente est au-dessous. La comparaison elle-même faite avec le prix du blé omet un élément essentiel, le perfectionnement de la mouture. On tire d’un boisseau de blé plus d’un quart en sus de farine. À prix égal pour le boisseau, il faut tenir compte de cette différente, qui équivaut à une diminution réelle du prix du blé. On peut rencontrer à cette époque, à la veille des nouveaux ébranlemens qui devaient si terriblement éprouver la Normandie, une condition généralement bonne dans la population rurale ; quant à la déclarer supérieure ou égale à la situation actuelle, je n’y saurais souscrire. Nous pouvons tirer cette conclusion sans sortir même du journal de Gouberville. Il n’y a là pourtant ni de ces famines épouvantables et périodiques, ni de ces pestes destructives qui s’abattaient sur les campagnes.


III

Le journal de Gouberville nous met à même de connaître le degré de sécurité et la manière dont on se faisait ou on obtenait justice dans les campagnes à cette époque. La figure de ce gentilhomme campagnard achève aussi de s’y dessiner avec ce qu’elle a d’original. La violence des mœurs, dont on a pu déjà se faire une idée, se peint dans des indications d’une concision trop expressive. Nous voyons éclater à chaque instant, pour les causes les plus futiles, de vraies batailles et d’impitoyables voies de fait auxquelles l’habitude générale de porter des armes donne une gravité