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raillerie le « saint Chrysostôme des niais : » il touchait le point faible, une certaine banalité de candeur et d’attendrissement. — Foy, avec sa physionomie ouverte et ses airs chevaleresques, s’élançait à la tribune comme à l’assaut. C’était moins un orateur réfléchi et correct qu’un tribun militaire séduisant par sa loyauté, par sa bonne grâce virile et par son esprit, remuant d’un geste et d’un accent passionnés les fibres patriotiques et libérales de la nation. Benjamin Constant, ingénieux vulgarisateur des vérités constitutionnelles, avait la souplesse d’un polémiste, l’art des nuances, la finesse rusée, la dextérité savante d’un lettré. Manuel, avec une passion concentrée sous son masque pâle et sévère, était un des plus habiles tacticiens de parlement, politique sans dons supérieurs, mais résolu, animé de tous les instincts, de tous les ressentimens de la bourgeoisie révolutionnaire. Et, dans d’autres camps, M. Lainé était l’orateur des émotions généreuses : nature ardente et impressionnable, prompte à éclater, prompte và se décourager et à se replier dans le silence. M. de Villèle avait le langage délié et précis des affaires. M. de Martignac n’avait pas encore paru. C’est l’élite parlementaire de la restauration vers 1820. Entre ces émules de talent et d’éloquence, De Serre reste le premier.

Tout séduisait chez lui. L’homme avait la taille élevée, la physionomie pensive et prompte à s’éclairer du feu des impressions intérieures, une grâce naturelle et simple de manières, une dignité sans efforts et sans recherche. L’orateur à la tribune, après un instant d’hésitation, s’animait rapidement et dominait l’assemblée par la hardiesse de sa pensée, par la justesse du geste et la distinction de l’organe, par un accent vibrant d’irrésistible sincérité. Les idées se pressaient dans son esprit et s’enchaînaient avec une singulière puissance. S’il était interrompu, il se détournait à peine, il réduisait l’interrupteur au silence, et il poursuivait, parcourant d’un pas hâtif toutes les parties d’une discussion, relevant les questions qu’il traitait, laissant échapper sur son passage les réflexions profondes ou les traits lumineux. Il avait assez souvent de ces mots qui frappaient : « Notre trésor peut être pauvre, mais qu’il soit pur. — La démocratie coule à pleins bords entre de faibles digues impuissantes à la contenir. — Une société bien ordonnée est le plus beau temple qu’on puisse élever à l’Éternel… » Et par instans il ne se défendait pas de donner toute carrière à sa pensée. « Nous aussi, disait-il, nous avons, dans la France émue, entendu ces cris d’ivresse : Hier nous étions esclaves, aujourd’hui nous sommes libres ! — En un jour nous avons tout changé, nos mœurs, nos coutumes, nos lois ; et bientôt nous avons vu ce grand peuple chanceler et les convulsions de l’anarchie le saisir ! -Instruits par les malheurs de votre