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connaissait bien cette vaste construction un peu froide, les cours glaciales, les longs couloirs, et l’incomparable activité qui régnait dans cette partie du rez-de-chaussée que l’on appelait plus particulièrement le trésor. Quoique M. Mignot soit homme à ne s’étonner de rien, il fut pris de tristesse et de dégoût devant le spectacle qu’il eut sous les yeux dès qu’il eut franchi la porte du ministère. Du haut en bas, les fédérés campaient ; à chaque pas, on se heurtait contre des soldats en faction dont la consigne différente n’était comprise par aucun d’eux : — Passez à gauche ! — Passez à droite ! — Passez au large ! — On ne passe pas ! — M. Mignot disait : — Je voudrais parler au citoyen Jourde, au citoyen Varlin ou à tout autre membre du comité. — On ne passe pas ! — M. Mignot insistait. — Passez au large ! On fit enfin venir un caporal qui écouta attentivement et répondit avec quelques hoquets : — Jourde ? Varlin ? mais ils ne sont pas du bataillon. — Non, ils sont délégués aux finances. — Délégués aux finances ? Jourde ? Varlin ? Je ne connais pas. — Puis criant à tue-tête : — Eh ! là-bas ! Qu’est-ce qui connaît Jourde, Varlin, des délégués ? Voilà un citoyen qui les demande. — Une voix répondit : — Ça, c’est du comité, faut voir à l’Hôtel de Ville.

M. Mignot reprit sa course et arriva sur la place de l’Hôtel de Ville, qui était transformée en parc d’artillerie ; on n’y pouvait pénétrer ; partout des sentinelles poussaient la baïonnette au visage des passans. A force de se démener et de parler de communications graves à faire au comité central, M. Mignot obtint qu’un des officiers fédérés le conduirait jusqu’à l’Hôtel de Ville ; de dix pas en dix pas, il fallait échanger le mot d’ordre et le mot de ralliement. Tant de précautions semblaient indiquer que l’on n’était pas trop rassuré, en haut lieu, et que la victoire continuait à étonner les vainqueurs. Le palais était ignoble à voir. Là aussi les fédérés campaient au milieu des bouteilles vides et des morceaux de papier graisseux dont leur charcuterie avait été enveloppée. Quelques sentinelles, vautrées sur des fauteuils, le fusil entre les jambes, dodelinant leur tête alourdie, la langue épaisse et l’œil éteint, montaient ainsi la garde dans le salon qui précédait la salle où se tenait le comité central. M. Mignot répéta sa question : Affaires urgentes, Banque de France, citoyen Jourde ou Varlin ? On ne savait où ils étaient. On entr’ouvrit une porte ; une bouffée de clameurs, de vociférations et d’injures vint jusqu’à M. Mignot : le comité central délibérait. Ni Jourde ni Varlin ne s’y trouvaient ; c’est au ministère des finances qu’on les rencontrera. M. Mignot retourna donc au ministère, sans grand espoir de parvenir à remplir sa mission. Il s’adressa à un officier qui lui parut moins débraillé et plus convenable que les autres. L’officier écouta et, après avoir réfléchi quelques instans, il répondit : — J’ai votre affaire. Jourde, je le