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malgré les encaisses découvertes au ministère des finances et à l’Hôtel de Ville, le comité central était fort pauvre : la bourse de l’insurrection était à sec ; les fédérés exigeaient que la solde fût régulièrement fournie tous les jours ; les délégués Jourde et Varlin étaient fort embarrassés, et ils résolurent d’aller faire une nouvelle visite à la Banque de France. Ils y trouvèrent le gouverneur, qui, malgré les appels réitérés de M. Thiers, ne s’était point encore rendu à Versailles. C’était le 22 mars dans la matinée. En voyant entrer les délégués du comité central, M. Rouland comprit sans peine de quoi il s’agissait ; cela le mit d’assez méchante humeur, et son premier mot fut : — Je n’ai point d’argent à vous donner ; du reste, je ne puis rien faire sans consulter le conseil qui se réunit aujourd’hui ; revenez demain, et je vous ferai connaître ce que l’on aura décidé ! — Jourde et Varlin ne l’entendaient point ainsi, il y avait péril pour eux à s’en aller les mains vides ; ils insistèrent. Comme toujours, dans les grandes circonstances, ce fut Jourde qui parla, Varlin se contentait d’approuver du geste. Ce que l’on demandait à la Banque, c’était un simple prêt, car le pouvoir du comité central, pouvoir essentiellement provisoire, va prendre fin, puisque les élections sont prochaines ; de ces élections sortira un gouvernement « régulier » qui assoira immédiatement les bases d’un budget ; les recettes de la ville de Paris, l’octroi, les contributions, toutes les ressources, en un mot, vont être régularisées, organisées, et si, dans l’avenir, on a recours à la Banque, ce ne sera plus que pour des opérations autorisées par les statuts : aujourd’hui, pressé par la nécessité, l’on s’adresse encore une fois à elle ; il faut un million, et l’on vient le chercher. M. Rouland répliqua qu’en l’absence d’une décision approbative du conseil des régens, il lui était impossible de donner un million, et que cette somme du reste dépassait la paie quotidienne de la garde nationale. On discuta, on se fit des concessions de part et d’autre ; M. Rouland promit de faire connaître la décision du conseil, et en l’attendant, comme il fallait faire face à des nécessités impérieuses, il se résigna à donner un mandat de 300,000 francs sur la caisse. Le libellé du reçu est intéressant à reproduire, car il délimite nettement le terrain sur lequel la Banque comptait se tenir et se tint jusqu’au dernier jour :

« Nous, membres du comité et délégués du ministère des finances, déclarons à M. le gouverneur de la Banque qu’une somme de cent cinquante mille francs est indispensable à l’instant pour parfaire les indemnités dues aux gardes nationaux, à leurs femmes et enfans, — que, faute de cette somme, il y aurait à craindre des conséquences qu’il importe d’éviter dans l’intérêt de l’ordre public, — et nous requérons donc la Banque d’avancer d’urgence cette somme pour et au compte de la ville de Paris. Paris, le 22 mars 1871, les