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universel. En même temps il communique au cardinal le manuscrit de ce même Mahomet et lui fait tenir des extraits de sa correspondance et de ses conversations avec le roi de Prusse, il fait savoir à Versailles « qu’il cultive le goût naturel du prince pour la France, » et Nestor se laisse gagner comme les autres, et Voltaire montre dans Paris une lettre du cardinal : « Vous êtes tout d’or, monsieur ; j’ai fait part de votre lettre au roi qui en a été fort content. » En effet, il est devenu puissant : il fait arrêter des parodies, supprimer des libelles, emprisonner des libraires. C’est sa manière, quand il en eut user, de répondre aux critiques et de punir l’insolence. Jusqu’à son dernier jour, il aura quelque peine à comprendre qu’un gouvernement bien réglé permette aux Desfontaines, aux Fréron, aux La Beaumelle d’écrire contre un Voltaire. Aussi, quand il briguera l’entrée de l’Académie française et de l’Académie des sciences, ne sera-ce pas seulement vanité d’homme de lettres et gloriole de poète, ni même plaisir de triompher de la cabale et de l’emporter sur un évêque, c’est que les académies « sont des asiles contre l’armée des critiques hebdomadaires, que la police oblige à respecter les corps littéraires. » Nous en devons l’aveu naïf au plus naïf des biographes : j’ai nommé Condorcet.

Voltaire était dans une passe heureuse. La mort du cardinal même, bien loin d’ébranler son crédit naissant, vint l’affermir et l’étendre encore. On le voit de nouveau presque chargé de négocier le retour du roi de Prusse à l’alliance française, et s’il ne parvient pas, malgré des flatteries, libres jusqu’à la grossièreté, à se concilier les bonnes grâces de la duchesse de Châteauroux, l’année suivante, sous le ministère du marquis d’Argenson, son ancien camarade au collège de Clermont, on le retrouve rédigeant des déclarations, des manifestes, des dépêches, des Représentations aux états généraux de Hollande, ou des lettres du roi à la tsarine Elisabeth.

Sa faveur monte au comble quand Mme de Pompadour devient maîtresse en titre. Il l’avait connue quand elle n’était encore que Mme d’Étioles, dans ce monde élégant de traitans, de partisans et de fermiers-généraux qu’il fréquentait toujours avec assiduité. Même il avait reçu ses confidences et bien avant la cour il avait eu le secret des nouvelles amours de Louis XV. Il n’était pas homme à laisser échapper l’occasion. On avait déjà payé son opéra de la Princesse de Navarre d’un brevet d’historiographe de France avec deux mille francs d’appointemens. Il voulait mieux encore. Son Poème de Fontenoy et son Temple de la Gloire lui valurent une charge de gentilhomme ordinaire de la chambre. Ce ne sont pas des chefs-d’œuvre que le Temple de la Gloire ou le Poème de Fontenoy. Pourtant ne disons pas, avec certains apologistes, que Voltaire paya la faveur royale en la même monnaie de cour que