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il était resté déiste en métaphysique. Toute son aristocratie se soulevait, se révoltait contre ce matérialisme grossier dont il pouvait voir chaque jour se multiplier les adeptes. Et puis son ardeur d’autrefois s’apaisait, s’éteignait doucement. Son irritabilité même l’abandonnait. « Je me suis tant moqué de Fréron, disait-il, qu’il est bien juste qu’il me le rende, » et de loin en loin, dans la correspondance des dernières années, passait comme un souvenir mélancolique : « Il faut donc que je vous dise, mon cher ange, que, si Mme du Deffand se plaint de moi par un vers de Quinault, je me suis plaint d’elle par un vers de Quinault aussi. Je crois qu’actuellement nous sommes les seuls en France qui citions aujourd’hui ce Quinault, qui était autrefois dans la bouche de tout le monde. » Ainsi sur la fin de cette vie tant agitée, il se faisait comme un grand apaisement, précurseur de l’éternel silence.

Ce fut son retour à Paris qui le tua. Le 30 mai 1778, dans cette grande ville où il avait si peu vécu, mais qu’il avait tant amusée, tant passionnée, et qui venait de le recevoir comme jamais ni nulle part n’avait été reçu souverain victorieux, il expira. On n’a sur ses derniers instans que peu de renseignemens, assez précis pourtant et assez authentiques pour qu’il soit inutile de discuter les légendes grotesques qui courent encore une certaine littérature, et pour pouvoir affirmer que, si dans sa longue existence il trembla plus d’une fois devant le danger, cependant il fut calme, digne et brave envers la mort.


IV

S’il est un homme dans notre histoire qui par ses qualités comme par des défauts soit vraiment l’homme de son siècle et de sa race, à coup sûr Voltaire fut cet homme. Honneur bien rare, gloire singulière, et que bien peu partagent avec lui. Dans la plupart des hommes, comme il arrive un âge où les linéamens du corps et les traits de la physionomie se fixent pour ne plus varier, ainsi vient un temps où l’esprit cesse de s’étendre, et l’intelligence, le génie même, de se renouveler. Quand Corneille, encore jeune, eut écrit le Cid et Polyeucte, comme s’il se fût lui-même enfermé dans un cercle magique, vainement essaya-t-il d’en sortir, et pendant près d’un demi-siècle, mécontent de lui, mécontent des autres, jaloux de Molière et jaloux de Racine, il ne put que se recommencer. Voltaire à quatre-vingt-quatre ans conservait encore toute l’ardeur du jeune homme, toute son avidité de connaître, toute son impatience d’agir. A peine de loin en loin, quelque plainte et quelque regret du temps passé, quelque semblant d’insouciance du présent et d’incuriosité de