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splendeur que nulle main humaine ne pouvait obscurcir. Aucun pape n’a été plus pieux, d’une piété plus vraie, plus naïve, plus expansive ; il s’était de bonne heure consacré à la Vierge et se regardait volontiers comme son chevalier. Chaque année, il couronnait quelque madone en renom : Notre-Dame de Lourdes, par exemple, a reçu cette distinction ; il voulut attacher de sa main au front de Marie le mystique diadème, la couronne étoilée, que lui décernait spontanément la piété catholique. En les revêtant toutes deux d’un privilège incontesté, Pie IX rehaussait officiellement la dignité de la Vierge et de la chaire papale. En souverain dont l’empire dépassait la terre, il aimait à conférer des titres aux habitans des cieux. C’est ainsi qu’ayant proclamé Marie immaculée, il voulut accroître les honneurs de l’époux de Marie, et saint Joseph fut décoré du titre de protecteur de l’église.

La même voix a déclaré la Vierge sans tache et la chaire romaine sans erreur ; le même bras a élevé la mère du Christ et la papauté si haut qu’il semble les avoir mises l’une et l’autre en dehors de la nature humaine. Les deux dogmes dont Pie IX a enrichi la foi symbolisent du reste admirablement les deux tendances aujourd’hui dominantes dans l’église : le premier satisfaisant à ses penchans mystiques, le second à ses penchans autoritaires. Pie IX n’inventait rien, l’immaculée-conception n’était que le dernier mot du culte de Marie, l’infaillibilité papale le terme logique du catholicisme romain.

Des deux articles de foi promulgués par Pie IX, l’un a préparé la définition de l’autre. L’immaculée conception a été proclamée sans concile, ce qui impliquait que, pour définir un dogme, un concile n’était pas nécessaire. Au lieu de faire délibérer et voter ensemble l’épiscopat réuni, la curie romaine s’était contentée d’en consulter individuellement les membres tout comme de simples théologiens. Le pape avait seul, de sa pleine autorité, prononcé la nouvelle définition, en présence des nombreux évêques rassemblés autour de lui : inter sacra solemnia pronunciavit, dit l’inscription de marbre de saint Pierre de Rome. Les évêques présens à cette cérémonie n’avaient été que de simples assistans, adstabant episcopi, adstabant archiepiscopi, dit, en donnant leurs noms, l’inscription vaticane. Quinze ans avant d’être officiellement déclaré infaillible, Pie IX avait en face de l’épiscopat et de la chrétienté agi en maître du dogme ; il avait mis son infaillibilité en œuvre avant de l’avoir fait sanctionner, et aucune voix dans l’église ne s’était élevée, contre cette nouveauté.

Pie IX n’avait plus qu’à faire solennellement reconnaître de l’épiscopat la prérogative dont il avait publiquement usé. C’était