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David toutefois, si ennemi qu’il fût de l’ancien régime et même assez souvent des institutions et des gouvernemens de son temps, si prompt qu’il se montrât au contraire à soutenir la cause de la révolution ou à populariser par ses ouvrages les noms de ceux qui l’avaient servie, David n’était pas homme à méconnaître la grandeur de certains exemples, de certains souvenirs bien différens. Veut-on une preuve de son empressement en pareil cas à accomplir ce qu’il pensait être un devoir de justice ou de gratitude ? Qu’on se rappelle l’offre qu’il fit et le projet qu’il exécuta, lui le républicain intraitable, d’élever un monument à la mémoire du royaliste Bonchamps aux lieux mêmes où le général vendéen avait combattu et succombé. « Mon père, écrivait-il après qu’il eut achevé ce travail, mon père était un des cinq mille prisonniers de Saint-Florent dont Bonchamps a demandé la grâce avant de mourir. En exécutant ce monument, j’ai voulu acquitter, autant que cela m’était possible, la dette de reconnaissance de mon père. » Mais c’est assez parler de ce qui, dans les travaux de David, ne relève pas directement de sa doctrine esthétique et de son talent. Il est temps d’interroger l’un et l’autre et d’en tirer, s’il se peut, des renseignemens exacts sur la portée de l’entreprise que l’artiste a poursuivie et sur la valeur même des œuvres qu’il a produites.

Nous avons dit que, par les caractères de l’ordonnance et du style comme par le choix des sujets, le plus grand nombre des ouvrages de David exprime avant tout la volonté d’approprier la sculpture aux exigences de l’esprit moderne, de la vivifier, de la renouveler dans un sens conforme à nos inclinations actuelles et à nos mœurs. Lui-même avouait résolument et en toute occasion cette intention de débarrasser l’art des vieilles « conventions d’école ; » mais ce serait se méprendre beaucoup que d’attribuer à ses tentatives d’affranchissement la signification d’une révolte contre des lois plus générales et plus hautes, d’une guerre déclarée à l’idéal.

L’idéal au contraire est la préoccupation dominante de David, l’objet de ses recherches et de ses efforts continuels. Rien de moins matérialiste que l’art tel qu’il le comprend, rien de plus étroitement lié à la fonction de la pensée que le travail qu’il demande à la main d’accomplir. Là même où la condition essentielle de la tâche est la ressemblance physique, là où il s’agit d’un simple portrait, il ne veut pas que les regards de l’artiste s’arrêtent à la surface des choses ; il veut que ces regards s’emparent même de l’invisible, que l’imitateur évoque l’âme de son modèle, qu’il en pénètre les secrets et qu’il arrive ainsi, par la puissance de sa sagacité et par les explications qu’elle lui suggère, à nous faire connaître l’homme tout entier. De là le juste dédain que David professe pour