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enveloppé des nuages de ses propres rêvasseries, qui ne sait où il va et qui prend des flammes de pétrole pour le soleil. Pour la commune, composée d’un ramassis de vauriens altérés, ignorans, percés au coude, bouflis de vanité, rongés d’envie et sots, un tel homme, qui passait pour riche, ancien ami de Proudhon, ayant siégé dans nos assemblées parlementaires, était une recrue qu’il ne fallait pas négliger d’acquérir. Aux élections du 26 mars, Ch. Beslay fut nommé dans le VIe arrondissement par 3,714 voix sur 9,4909 votans et 24,807 électeurs inscrits. U était le doyen des membres de la commune, et en cette qualité il présida la première séance. Son discours d’ouverture est, pour qui a étudié l’homme, d’une sincérité irréprochable : « C’est par la liberté complète de la commune que la république va s’enraciner chez nous. La république de 93 était un soldat… la république de 1871 est un travailleur qui a surtout besoin de liberté pour fonder la paix. Paix et travail ! voilà notre avenir, voilà la certitude de notre revanche et de notre régénération sociale, et ainsi comprise, la république peut encore faire de la France le soutien des faibles, la protection des travailleurs, l’espérance des opprimés dans le monde et le fondement de la république universelle… Le pays et le gouvernement seront heureux et fiers d’applaudir à cette révolution si grande et si simple, et qui sera la plus féconde révolution de notre histoire. » On peut assurer, sans manquer à la vérité, que Ch. Beslay était de bonne foi et qu’il voyait dans l’installation de la commune l’avènement du bonheur du genre humain ; mais, pendant qu’il débitait gravement ces naïvetés qui prouvent un esprit radicalement dénué de sens politique, il est probable que Ferré, Ranvier, Rigault et consorts souriaient avec commisération. Ch. Beslay, en effet, n’était point « à la hauteur des circonstances, » il l’avait démontré déjà en faisant de grands efforts pour obtenir la liberté du général Chanzy ; il devait le démontrer encore en essayant d’arracher Gustave Chaudey aux griffes de Raoul Rigault ; mais l’ami de Dacosta tint bon et ne lâcha pas sa proie. Pendant toute la durée de la commune, quels que fussent les événemens dont on s’attristait, il resta immuable dans son optimisme, semblable à un yoghi des Indes qui se regarde le nombril et y voit son dieu. Quand la bataille se rapprochait de Paris, quand on emprisonnait à tort et à travers les magistrats, les prêtres, les sœurs de charité, les gendarmes, quand on forçait la porte des hôtels particuliers pour les mettre au pillage, quand on dévalisait les églises, le père Beslay hochait la tête, en disant : — C’est vrai ! on va un peu loin ; ce n’est qu’un moment à passer, et vous verrez après comme on sera heureux. — Faudrait-il donc, lui demandait un de ses interlocuteurs, faire comme les Hébreux et traverser la Mer-Rouge pour