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tendu un de ses interlocuteurs crier : — Nous vous dirons même où ils sont ; vous avez voulu les descendre dans votre puits ; la corde a cassé, et parce qu’ils sont au fond de votre puits vous vous imaginez que nous ne pourrons les découvrir. — Il n’y a pas de puits à la Banque, et M. Mignot avait compris que cet homme, si particulièrement bien renseigné, voulait parler de l’escalier très étroit qui donne accès aux caves. Tout ceci était évidemment le fait d’une erreur, mais les délégués avaient eu un tel accent de sincérité, une telle raideur d’affirmation que tout était à redouter. Abusés par un document mal interprété, ils pouvaient exiger qu’on leur livrât l’entrée des caisses, des caves, des dépôts, des serres aux titres, arriver en force, s’établir en maîtres dans la Banque, et alors que serait-il advenu ? Il n’y avait pas à argumenter avec eux ; il n’y avait pas à essayer de leur faire comprendre qu’ils avaient la prétention de représenter la ville et non pas l’état, que les diamans de la couronne appartenaient à l’état et non pas à la ville, que par conséquent ils n’avaient aucun droit d’en exiger la remise. C’eût été peine perdue, et les hommes auxquels le salut de la Banque incombait étaient trop intelligens pour faire de la logomachie avec des énergumènes. Il leur paraissait dur d’avoir déjà fait tant de sacrifices pour éviter à la Banque une intrusion trop violente et de se sentir menacés, plus sérieusement qu’on ne l’avait jamais été, pour un fait qui ne pouvait être que le résultat d’une fausse interprétation. On était fort inquiet.

On l’eût été bien plus encore si l’on avait su ce qui se passait. Jourde, Varlin, Amouroux, Beslay, s’étaient rendus à l’Hôtel de Ville, près de la commission executive. Amouroux avait demandé que des forces suffisantes fussent immédiatement dirigées sur la Banque, qu’elle fût occupée militairement, que des recherches minutieuses y fussent opérées, jusqu’à ce que l’on eût mis la main sur les diamans de la couronne. Nul n’avait le droit de se soustraire à l’autorité légitime. Or l’autorité légitime, c’était la commune librement élue par le peuple de Paris ; l’attitude de la Banque était manifestement hostile et réactionnaire, elle était infectée de monarchisme ; cela mécontentait la partie républicaine de la population. La Banque n’avait pas le droit, sous de futiles prétextes, de se soustraire à l’action des lois ; elle refusait d’obtempérer aux ordres régulièrement transmis par les délégués ; tant pis pour elle, il fallait profiter de la circonstance pour s’y installer. Varlin approuvait, Jourde ne disait mot ; Beslay prit la parole et fut écouté. Il affirma qu’il n’y avait pas à douter de la loyauté des fonctionnaires de la Banque et qu’il ne pouvait admettre qu’on eût voulu le tromper ; toutes les preuves sont contre la Banque, il le reconnaît, et cependant il se peut que tout ceci ne soit que le ré-